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pour un homme sensé, ne peuvent être douteuses. Tel n’est cependant pas l’avis de quelques-uns des auteurs qu’a interrogés la commission d’enquête théâtrale. Ils ont profit de la circonstance pour se lancer dans des digressions superbes où perce constamment, à travers d’ambitieux paradoxes, l’excessive préoccupation de soi-même, cette muse de notre siècle. Leurs réponses, consignées tout au long dans les procès-verbaux de la commission, sont donc significatives et curieuses, au moins sur un point : si elles donnent des renseignemens peu concluans sur le sujet qu’ils avaient à éclaircir, elles en fournissent de très nets sur eux-mêmes. L’ensemble de ces réponses a un autre avantage ; il permet, dès l’abord, de reconnaître et de classer deux familles bien distinctes parmi ces brillans esprits : celle des esprits justes et celle des esprits faux. On peut même faire à ce propos une remarque : c’est que les écrivains qui représentent le plus complètement, dans leurs personnes et dans leurs ouvrages, les tendances de la littérature moderne, ceux qu’on est convenu d’appeler les plus littéraires, sont ceux dont les réponses révèlent le moins d’idées droites, pratiques, applicables, ceux qui paient le plus large tribut aux paradoxales allures d’un individualisme puéril, regardant toutes choses à travers le prisme de la vanité. Plus on s’éloigne de cette extrémité, de cette sorte de petite église littéraire et poétique ; plus on approche des régions tempérées, des hommes d’esprit qui ne se croient pas de grands hommes, plus on trouve de rectitude, de netteté et de justesse dans les explications données et reçues ; enfin, lorsqu’on arrive aux hommes spéciaux, compétens, qui n’ont ni rêvé ni écrit, mais qui ont vu, pratiqué, jugé, et dont les raisonnemens reposent sur des faits recueillis pendant une longue et sérieuse carrière, on a sous les yeux la vérité et l’évidence même : utile leçon qu’il serait facile de généraliser, et qui expliquerait, au besoin, des événemens plus graves que la chute ou la prospérité des théâtres ! Serait-ce donc une des douloureuses conditions de notre époque, que quiconque a bu aux philtres de la rêverie, s’est enivré, des enchantemens de la poésie et de l’art, doive perdre le sentiment du bien et du mal, la conscience du vrai et du faux, la proportion du possible et de l’impossible dans le domaine des choses réelles ? Est-ce le châtiment de l’orgueil chez les imaginations brillantes, l’expiation des plaisirs que nous donnent leurs décevantes fictions ? Est-ce le résultat logique de cette maladie toujours croissante parmi les contemporains célèbres, et qui consiste à tout ramener à eux-mêmes, à se préférer à tout ? On le voit, la question s’agrandit, et cette comédie-là ouvre, elle aussi d’assez lumineuses perspectives sur les misères de notre temps, les faiblesses du cœur humain, et les secrets mobiles qui dirigent, modifient ou transforment l’opinion de nos illustres.

L’espèce de classement intellectuel que nous indiquons ici peut se faire à chaque page du procès-verbal de l’enquête. Tous ceux qui ont quelque raison de préférer les données de l’expérience aux chimères de la vanité sont unanimes à proclamer ce qu’il y aurait de désastreux et de funeste dans la liberté absolue. Tous constatent la nécessité d’une restriction et d’une censure préventive. Les écrivains chez lesquels domine l’esprit critique ou L’esprit observateur sont du même avis. De l’autre côté se rangent les poètes, M. Dumas, M. Hugo surtout ; et, comme pour se conformer au système dramatique de ce dernier, qui veut que le grotesque ait sa place dans toute représentation théâtrale,