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le témoin ? On fournira au czar une magnifique occasion de vaincre à peu de frais ; l’on donnera au peuple russe lieu de croire que son souverain est déjà plus qu’à demi maître de l’Europe, et qu’il lui suffit de se montrer pour conquérir le monde.

En somme, que voyons-nous ? D’un côté, que le czarisme, grace à la réunion en lui du caractère religieux au pouvoir politique, possède plus d’influence morale qu’aucun gouvernement en Europe ; de l’autre, que les invectives adressées à la nation russe, les vaines menaces de guerre, les insurrections mal combinées, tout, jusqu’aux complaisances de la diplomatie pour le cabinet du czar, ne fait qu’accroître cette mystique influence.

Au dehors ; et particulièrement sur le terrain de l’empire turc, le czarisme exerce une influence analogue à celle qu’il possède en Russie même, et qui ne vise pas moins au gigantesque. L’idée religieuse, qui lui sert à contenir ses propres sujets lui a servi plus d’une fois à tenter ceux du sultan, et, dans les derniers temps, une idée nouvelle, l’idée de race ; est venue fortifier entre ses mains l’autorité religieuse qu’il avait su conquérir. .

L’action du czarisme en Orient a un nom en diplomatie : c’est le protectorat. On sait à la suite de quels événemens le protectorat s’est établi, comment la Russie, intervenant naguère entre les rayas chrétiens et les Ottomans, est parvenue à se faire reconnaître pour garante des droits des chrétiens, comment enfin, par une interprétation arbitraire du mot de garantie, elle a prétendu au droit de protectorat. Ce protectorat ne s’étend que sur les trois principautés du Danube, la Moldavie., la Valachie et la Servie ; mais, de ces trois points, la Russie peut agir à la fois sur l’empire ottoman tout entier. Comment se présente-t-elle aux populations ? Comme la vraie, l’unique dépositaire de la foi chrétienne. Sans avoir pris aucune part aux croisades, elle a, dit-elle, hérité directement de la pensée qui les inspira ; elle a reçu de la Providence la mission de rejeter les Turcs en Asie ; elle est de droit divin la protectrice de tous les peuples chrétiens de l’empire ottoman. Depuis que le sentiment religieux a perdu la force qu’il tirait d’une lutte armée contre l’islamisme ; et que l’idée de race est devenue un grand moyen d’action, le czarisme a modifié habilement cette tactique, caressant l’idée de race sans cesser de flatter l’idée religieuse. De là le panslavisme officiel que le tzar essaya d’identifier avec l’orthodoxie grecque, afin que l’action de chacune des deux idées s’accrût par leur alliance même. Cette doctrine à la fois politique et religieuse, professée dans les écoles russes, visa surtout à plaire aux populations slaves de la Turquie. Qu’est-ce au fond que ce panslavisme officiel ? Un slaviste, M. Cyprien Robert, en ouvrant son cours de cette année au Collège de France, a caractérisé exactement cette théorie en disant que son principe, c’est