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sentir : tous les infidèles, c’est-à-dire les catholiques et les protestans, reviendront avec repentir au giron de la véritable église, qui est l’église d’Orient. D’où il suit que l’église russe est destinée à gouverner le monde. Toute nation qui résiste aux exigences du gouvernement russe est envisagée comme rebelle et impie ; toute guerre que le czar entreprend est une guérie sainte.

Trop souvent la politique des cabinets et celle des peuples sont venues favoriser et fortifier cette croyance. Ainsi, par exemple, plus l’Europe a fait de concessions à la Russie, plus l’orgueil de ses souverains est devenu exigeant. Bien loin de limiter leur ambition par le système des complaisances, on l’a encouragée outre mesure. Plus on a reculé dans la question de Pologne, plus le cabinet russe a avancé dans celle de Turquie. Et ce n’est point là un fait isolé, c’est une sorte de nécessité de situation. Recherchait-on l’alliance du czar ? sur l’heure naissaient de formidables projets de partage et de conquête, dans les duels tout l’avantage était fatalement pour lui, et plus il obtenait, plus il désirait encore. Non, dans les conditions politiques et religieuses où il s’est placé, où il doit rester s’il veut continuer d’être absolu, le czar ne peut être ni l’ami ni l’allié de personne sur le pied d’égalité. Vis-à-vis de son peuple, il est dans la nécessité de traiter les autres gouvernemens comme des vassaux, ou comme des rebelles destinés à être un jour châtiés par sa main. Dans l’imagination de ses paysans et de ses prêtres, c’est un dieu auquel l’humanité doit se soumettre sans conditions. Il sait bien qu’il est condamné à rester dieu ou à cesser d’être absolu. S’il traite avec vous, c’est pour mieux vous dominer ; vous êtes son inférieur, vous devenez l’instrument du prestige qu’il exerce sur ses peuples. Au lieu de limiter sa puissance, vous la rendez plus formidable On arrive au même but par le système opposé. Des écrivains et des politiques habitués à la violence du langage, ne sa chant pas distinguer entre le gouvernement et la nation offensent l’esprit national, le repoussent, le contraignent de s’attacher plus étroitement encore au czarisme. En général, c’est beaucoup moins le gouvernement russe que la nation que l’on semble mettre au ban de l’humanité. Le Russe, reçu partout comme une sorte de barbare, rentre donc dans son pays le cœur gros de haine contre l’Europe civilisée, et, ne voyant pas d’autre manière de se venger de cet affront, il se réfugie avec toute l’ardeur de son ressentiment dans les bras du czarisme, où il se console par l’espoir de la domination universelle. Menacez-le de la guerre ; son patriotisme prend feu, et le voilà prêt à tous les sacrifices pour servir la gloire et augmenter la fonce du pouvoir qui l’opprime et l’écrase. Que sera-ce si, comme il est trop souvent arrivé, on prétend le combattre par des agitations prématurées, sans ensemble et sans vigueur, pareilles à celles dont le Danube vient d’être