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sur le modèle de leurs rêves ; la Russie absolutiste et conquérante a enfanté le mystique humanitaire, le messianiste qui nous apporte à la place de l’Évangile une nouvelle édition de l’Apocalypse et l’émigré polonais qui est naturellement et par la force des choses un soldat préparé pour toute insurrection. Si la Russie continuait de peser sur les peuples de l’Europe orientale, nous verrions bientôt avec l’émigré magyar des émigrés moldo-valaques, serbes ou bulgares, et toutes ces nationalités en conspiration permanente contre la conquête seraient amenées promptement à faire cause commune avec les plus détestables partisans de l’esprit révolutionnaire. Voilà le danger que la Russie doit éviter avant tout, si elle ambitionne de représenter essentiellement en Europe le principe de conservation.

Bien des esprits sérieux seraient peut-être tentés, de supposer que le gouvernement russe refusera de sortir de ses voies ordinaires pour se placer dans ces conditions de modération. Je suis, pour mon compte, très loin de penser qu’il soit réconcilié avec les idées constitutionnelles ; ou qu’il songe aucunement à leur donner chez lui droit d’asile ; on ne renonce point spontanément à la souveraineté absolue, au pouvoir sans contrôle. Je suis tout aussi éloigné de croire que ce gouvernement veuille laisser de côté les grandes ambitions diplomatiques que ses chefs se lèguent par héritage depuis Pierre-le-Grand. Néanmoins j’ai la conviction que les événemens accomplis depuis février en Europe ont été pour la Russie des leçons qu’elle médite aujourd’hui. Elle a évidemment compris qu’une politique trop tendue est trop ambitieuse, en précipitant la décomposition d’une partie de l’Europe, aurait un contre-coup funeste dans son propre sein. Elle a compris qu’en provoquant la guerre sur tel ou tel point de l’Orient et de l’Occident, elle pourrait momentanément s’agrandir, mais non sans créer aux autres états des difficultés qui, mettant partout la société en question, réagiraient bientôt sur elle-même, et finiraient peut-être par l’emporter avec toute la civilisation dans un abîme commun. Aussi la diplomatie russe semble-t-elle entrer dans une voie nouvelle cherchant aujourd’hui sa force non dans des accroissemens de territoire ni dans des abus trop sensibles de son influence, mais dans une politique qui s’efforce de paraître modérée et conciliante. C’est en ce sens que la Russie peut être conservatrice, et si elle adopte cet esprit de transaction, de bonne entente avec les cabinets de l’Occident, elle facilitera honorablement leur tâche.

Je voudrais montrer que la politique agressive de la Russie a sa principale origine dans le caractère spécial de l’autorité suprême, du czarisme ; que le szarisme lui-même a une double base, ou, si l’on veut, un double instrument : le pouvoir religieux, et ce patriotisme d’un genre particulier que l’on appelle panslavisme. Lorsque cette affirmation