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Si l’attitude du cabinet russe inspire à quelques esprits une confiance excessive, elle excite, en revanche, bien des craintes légitimes ou de placées. Que la Russie joue aujourd’hui en Europe un rôle très influent, qu’elle y exerce une grande autorité morale, certes on ne peut le contester. Sans doute, son état de civilisation ne semble point répondre à toutes ses ambitions politiques, et cependant, au milieu des calamités dont l’Occident est frappé ; la Russie ne se semble-t-elle pas contempler avec la sérénité du sage les agitations stériles de nos sociétés vieillies ? Bien mieux ; elle fait avec aisance la critique de nos libertés sans règle, de notre philosophie sans issue. Il n’est pas jusqu’à nos églises dont elle ne signale la décadence et ne prétende redresser l’esprit. Écoutez quelques-uns ses écrivains ; elle se prépare, avec ses populations jeunes et religieuses, à succéder, au vieux monde, épuisé de sentimens et d’idées. Qu’est-ce à dire, sinon que la Russie prétend au rôle de puissance conservatrice, et se vante d’être plus apte à le remplir qu’aucun autre état en Europe ?

Sans nul doute, s’il était en ce moment un pays qui eût conservé le vrai dépôt des grandes notions politiques, sociales et religieuses ; s’il existait une nation assez sainement organisée pour être heureuse et libre sous un pouvoir ; fort et respecté ; si à défaut d’un modèle de sagesse dans ses lois civiles et dans les principes fondamentaux de son gouvernement, elle pouvait du moins présenter aux cabinets conservateurs la garantie d’un concours diplomatique à la fois sincère et désintéressé, ce serait, pour les amis de l’ordre, aux prises avec des difficultés sans cesse renaissantes, une consolation et une garantie qu’ils ne devraient point dédaigner.

Il est certain que la société et le pouvoir sont fondés en Russie sur des bases imposantes, que la hiérarchie y est fortement assise, et que dans aucun temps, sous aucun climat, l’autorité souveraine ne fut plus profondément respectée. Cependant cette puissante autorité, de qui tout dépend, n’est point restée à l’abri des atteintes de l’esprit du jour. Pourquoi ? — Parce qu’elle a peut-être, si l’on ose le dire, manqué de mesure ; parce que, dans l’effort constant auquel elle est condamnée pour se maintenir à cause de son étendue même, elle s’est laissé entraîner plus loin qu’elle ne le voulait sans doute ; parce qu’enfin, en s’efforçant d’asseoir son avenir sur la double condition de la Souveraineté et de l’unité absolues au dedans, de la conquête au dehors, elle a éveillé au sein de l’empire et dans les états voisins un sentiment du droit qui, s’envenimant sous la compression, est capable de lui créer un jour de grandes difficultés. L’esprit révolutionnaire peut surgir de deux sources : d’une extension excessive du pouvoir absolu tout aussi bien que de l’abus de la liberté. Si la France et l’Allemagne démocratiques ont donné le jour aux empiriques qui prétendent reconstruire, les sociétés