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se fend, s’encroûte de sels calcaires, et devient une coquille d’abord ovale ; puis triangulaire, et enfin à peu près sphérique. Pendant la formation de la coquille, les cils vibratiles ont disparu ; mais le petit animal n’est pas pour cela condamné à l’inaction. À mesure que les cils extérieurs diminuent, on voit apparaître et se développer un bourrelet également cilié qui s’élargit et s’étend de manière à figurer une grande collerette garnie de franges. Ce nouvel organe de locomotion peut se cacher en entier dans la coquille ou bien se déployer au dehors, et agir alors à peu près comme une roue de bateau à vapeur. Grace à cet appareil, la jeune larve continue à nager avec autant de facilité que dans son premier âge ; mais elle a acquis, en outre, un organe qui lui sert à marcher sur un plan résistant, à s’élever, par exemple, le long des parois d’un vase de verre. C’est une sorte de pied charnu assez semblable à une longue langue très mobile qui s’allonge et se raccourcit à volonté. La larve du taret possède, en outre, des organes auditifs pareils à ceux de plusieurs autres mollusques, et des yeux analogues à ceux de certaines annélides. Pendant cette période de son existence, notre mollusque jouit donc à un haut degré des facultés caractéristiques de l’être animal ; il se meut, et il est en relation avec le monde extérieur par des appareils spéciaux. Eh bien ! vienne une dernière métamorphose, ce même taret va perdre ses organes de mouvemens et de sensations, et devenir une espèce de masse inerte où la vie végétative remplace presque entièrement la spontanéité active de l’animal.

Si je ne suis pas resté trop au-dessous de ma tâche, le lecteur, même le plus étranger aux sciences zoologiques, doit comprendre à présent l’attrait qui s’attache à ces recherches d’embryogénie. La naissance et le développement d’un germe, les métamorphoses de l’être qui lui doit l’existence, sont un des spectacles les plus propres à captiver quiconque sait penser et sentir. À eux seuls, les faits bruts ont souvent un intérêt immense par les questions qu’ils soulèvent ou qu’ils résolvent ; mais, au-delà des modifications de la forme, des transformations de la matière, il est impossible de ne pas reconnaître quelque chose de supérieur. Partout, dans ces phénomènes, la vie apparaît comme une force distincte agissant dans un but spécial que ne sauraient atteindre les autres agens, faisant naître les germes, les façonnant chacun selon son espèce, et, toujours une dans son essence, mais infinie dans ses manifestations, jetant sur la matière inorganique et morte le riche manteau de la création organisée. Cette force, nous la reconnaissons à ses effets ; nous ne saurons sans doute jamais sa nature. Là est certainement le plus profond des mystères de ce monde ; au-delà de cette cause première il n’y a plus que la cause des causes, il n’y a plus que Dieu.