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CARACTERES ET RECITS.




UNE LEGENDE MONDAINE.




I


— Je voudrais, me dit un soir une personne à qui je désirais infiniment plaire, que vous me contiez une histoire très passionnée, un peu moqueuse, et ayant un côté édifiant.

— Je sais, répondis-je, une légende d’une espèce toute particulière qui pourra peut-être vous satisfaire. Mon histoire, en tout cas, aura pour vous cet intérêt, que presque tous les personnages vous en sont connus. Suivant moi, il y a entre l’héroïne et vous nombre d’analogies que, pour la plupart certainement, vous refuserez d’admettre. Quant au héros, j’ai toujours eu, je l’avouerai, l’ardent désir et même la prétention secrète de lui ressembler.

Toute l’armée d’Afrique a connu le capitaine Séléki, du 2e régiment de la légion étrangère. Si je fais jamais, comme je le désire, le portrait du capitaine d’infanterie, caractère qui répondrait, par son humble et sacrée poésie, à celui que M. de Lamartine a tracé dans Jocelyn, le capitaine Séléki me servirait de modèle. Tous ses camarades avaient pour lui une amitié sérieuse comme sa belle figure, et forte comme sa belle ame.

Quant à ses soldats, ils l’adoraient. Séléki pratiquait envers eux une véritable charité d’apôtre, qui cependant, en ses détails les plus infimes, avait une sorte de grandeur royale. C’est de cet air bien certainement que saint Louis devait laver les pieds des pauvres, me disait un de ses amis en me racontant comment, pendant les longues marches,