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III

Sans cesse entouré de Basques pendant près de huit mois, j’avais peu de peine à recueillir des observations ethnographiques qui s’offraient à moi d’elles-mêmes. Aussi, à Saint-Sébastien comme à Guettary, les rochers et la mer se partageaient mon temps. Spécialement chargé par le Muséum de recueillir les fossiles encore assez peu connus de ces côtes, je recherchais avec ardeur ces débris, véritables documens archéologiques laissés à la science par les créations qui nous précédèrent à la surface du globe. À cet égard, je ne pouvais guère mieux rencontrer, et, dès les premiers jours de mon arrivée, je pus espérer de remplir avec succès la mission qui m’était confiée. En polissant des reconnaissances dans les vallées voisines de Saint-Sébastien, je découvris plusieurs gisemens encore inexplorés. Des végétaux, des animaux rayonnés, des mollusques vinrent s’entasser dans mes caisses, et la baie elle-même me fournit quelques-uns de mes plus curieux échantillons. De ces derniers, il en est un qui mérite une mention spéciale. Sur une pierre récemment détachée des couches calcaires de l’Antigua, je trouvai le moule parfait d’un annelé gigantesque, d’un ver qui devait avoir plusieurs pieds de long sur plus d’un pouce de large. Les parois du corps et de l’intestin, les cloisons membraneuses de l’intérieur se distinguaient nettement sur ce fragment de roche qui prenait à mes yeux toute la valeur qu’une médaille inédite et à fleur de coin peut avoir pour un antiquaire. Malheureusement ce magnifique exemplaire était scellé dans la maçonnerie d’un canal public d’assèchement : je ne pouvais faire ici usage de mon marteau sans une autorisation préalable mais, grace à l’activité de M. Tastu notre consul, les difficultés furent bientôt levées, et l’ingénieur en chef de la province. M. Peroncelli, vint présider en personne à l’enlèvement de la précieuse pierre. Aujourd’hui elle fait partie des collections du Muséum, et chacun peut y reconnaître non-seulement des caractères extérieurs, mais encore des dispositions anatomiques qui prouvent que, bien des milliers de siècles avant l’apparition de l’homme, le type des annelés comptait sur notre globe des représentans fort semblables à ceux d’aujourd’hui[1].

  1. Les annelés tubicoles à tubes solides, comme les serpules, ont laissé un grand nombre de fossiles ; mais il n’en est pas de même des annelés, dont le corps est nu et mou comme celui des annélides errantes, des némertes… On comprend qu’il a fallu des circonstances toutes particulières pour que la vase durcie par l’action des siècles conservât leur moule ou leur empreinte. Aussi les fossiles de cette nature ont-ils un grand intérêt. D’ailleurs aucun de ceux qu’on connaissait ne fournissait, je crois, de renseignemens sur l’organisation anatomique des annelés de ces antiques mers. À cet égard, l’échantillon que j’ai rapporté de Saint Sébastien est peut-être unique. Malheureusement la roche en est fragile et friable, et le voyage a quelque peu altéré des détails qui se noyaient auparavant avec la plus entière netteté.