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une figure peu agréable ; on en comptait vingt ou trente de vraiment magnifiques. Les femmes principalement possèdent à un haut degré les traits caractéristiques de leur race[1]. Leur figure à la fois régulière et animée, leurs grands yeux remplis d’expression leur bouche presque toujours entr’ouverte par un sourire quelque peu moqueur, leurs longs cheveux tombant en tresses jusque sur les jambes ou roulés autour de la tête comme un diadème naturel, frappent tout d’abord l’observateur le moins attentif. Presque toutes ont les épaules et le cou remarquables par la pureté des lignes, et ce trait de beauté, si rare d’ordinaire, donne à la plus humble paysanne quelque chose de gracieux et le noble qu’envierait plus d’une duchesse. Je n’exagère pas, il y a jusque dans les démarches de ces aguadoras en haillons, qui portent sur leur tête de lourds seaux d’eau, l’aisance et presque la majesté de la Diane chasseresse. Les hommes ont peut-être moins de distinction que les femmes dans les traits du visage, mais ils ne leur cèdent en rien sous le rapport de l’élégance des formes, de l’harmonie des mouvemens. La ceinture rouge autour des reins, la veste jetée sur l’épaule gauche comme le dolman d’un hussard, le berret légèrement incliné sur l’oreille, le bâton à la main, les Guipuzcoans semblent toujours prêts à bondir, et, quand ils saluent en gardant la tête haute et le regard fier, on sent une vraie courtoisie dans cet acte parfois teinté ailleurs de servilité. En voyant ces populations où chacun sait garder sa dignité personnelle tout en respectant celle d’autrui, je comprenais les vieilles chartes octroyées par les rois d’Espagne. Les Guipuzcoans, les Basques, sont bien une nation de nobles.

Dès les premiers temps de mois séjour à Guettary, j’avais été frappé de ne voir jamais les deux sexes réunis pour se livrer aux jeux du dimanche. Dans les villages où m’ont conduit depuis mes courses géologiques, j’ai eu souvent l’occasion de faire la même remarque. Presque toujours les hommes jouent à la paume ou aux quilles, les femmes dansent entre elles. Il y a là un contraste frappant avec ce qu’on voit chez les populations celtiques ou germaniques. Les Basques montagnards présentent un trait de mœurs plus caractéristique encore. Quand une femme accouche, le mari se met au lit, prend le nouveau-né avec lui et reçoit ainsi les complimens des voisins[2], tandis que la femme se lève et vaque aux soins du ménage. M. Chaho explique cette singulière

  1. C’est là du reste un fait général bien connu de tous les ethnologistes. Les caractères essentiels d’une race se retrouvent presque toujours avec un cachet plus prononcé et surtout avec plus de constance chez la femme que chez l’homme.
  2. Cet usage étrange existe dans quelques peuplades de l’Afrique et chez quelques sauvages de l’Amérique. Il parait avoir aussi existé chez les Tibari, peuples scytiques qui habitaient les bords du Pont-Euxin : On le retrouvait autrefois, d’après Diodore de Sicile, dans l’île de Corse. (Graslin, de l’Ibérie.) Y a-t-il là l’indice d’une origine commune perdue dans la nuit des temps ?