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croyances religieuses. Les anciennes fables euskariennes parlaient, disent quelques auteurs, de la destruction d’un monde antérieur, à laquelle échappèrent seulement quelques hommes rares comme les olives qui restent sur l’arbre après la récolte, comme les grappes qui pendent aux pampres après la vendange[1]. De ce nombre fut Aïtor, l’ancêtre des Euskaldunac. Retiré avec sa compagne dans une grotte inaccessible, Aïtor vécut pendant une année, voyant à ses pieds l’eau et le feu se disputer l’empire. Frappé de terreur, il oublia tout ce qu’avaient pu lui transmettre ses ancêtres sur le passé du monde, et inventa jusqu’à un nouveau langage. Les fils d’Aïtor, descendus dans les plaines, s’étendirent rapidement et formèrent de puissantes nations, mais toujours ils conservèrent fidèlement la langue et la religion du père descendu des hauts lieux, de l’ancêtre des montagnes[2]. Le polythéisme, dans ce qu’il a de grossier et de matériel, a toujours été inconnu des Euskariens. Ces peuples adoraient un être suprême, créateur et conservateur des mondes, le Jao-on-Goïcoa[3] ; ils commençaient et terminaient la journée en lui adressant des prières ; ils lui offraient en sacrifice les fruits de la terre par l’intermédiaire des anciens de la tribu ; mais ils ne lui élevaient aucun temple. Les cérémonies religieuses, toujours très simples, avaient lieu à certaines époques déterminées par les phénomènes célestes et se passaient sous le même chêne où ces vieillards, devenus chefs par le privilège de l’âge, rendaient la justice et réglaient les affaires de la nation. Les Basques croyaient à l’immortalité de l’ame, à des récompenses et à des punitions après cette vie. Pour eux, la mort naturelle n’était qu’un long sommeil, et la tombe s’appelait le lit du grand repos[4].

Un peuple dont la religion avait toujours été spiritualiste devait embrasser facilement le christianisme. Aussi les Basques ont-ils la prétention d’avoir été le premier peuple chrétien[5]. Leurs traditions nationales se sont facilement accordées avec ces nouvelles croyances. Les Euskariens ont, pour ainsi dire, confisqué à leur profit les prétentions

  1. Philosophie des religions comparées, par Augustin Chaho, Paris, 1848.
  2. Artagoia, Arbassoa, noms donnés à Aïtor. (Philosophie des religions comparées.)
  3. Ou par contraction Jainkoa, le Seigneur d’en haut. (Augustin Chaho, l’abbé d’Hiarce.)
  4. Augustin Chaho. Nous laissons à cet écrivain, à l’abbé d’Hiarce et aux auteurs basques qui les ont précédés dans cette voie, toute la responsabilité de ces assertions sur l’ancien spiritualisme des Euskariens. M. d’Avezac, dont l’opinion doit être ici d’un grand poids, regarde toutes ces prétendues traditions comme autant d’inventions modernes. Cependant il nous a paru intéressant de faire connaître ce que la science indigène ou les égaremens d’un patriotisme exagéré ont inspiré de plus récent aux Basques sur leur propre race.
  5. Histoire des Cantabres ou des premiers coloras de toute l’Europe, avec celles des Basques, leurs descendans directs, par l’abbé d’Hiarce de Bidassouet ; Paris, 1826.