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rebâtir Saint-Sébastien. Ici encore le mécompte fut aussi complet que possible. Seul, un négociant allemand, établi à Bilbao, s’inscrivit pour une demi-once[1]. Après quelques mois d’attente, l’ayuntamiento dut remercier son unique souscripteur dont l’offrande isolée devenait inutile ; mais les registres de la ville constatent encore aujourd’hui, que Saint-Sébastien, brûlé par ses alliés, abandonné par ses compatriotes, ne trouva de sympathies pour ses malheurs que chez un seul homme et chez un étranger.

On comprend que les chefs de l’armée anglo-portugaise ne pouvaient accepter aisément l’odieux des faits que nous venons de rappeler. Aussi, dans ses réponses à l’ayuntamiento, Wellington cherche-t-il à rejeter l’incendie de Saint-Sébastien, tantôt sur les nécessités de la guerre[2], tantôt sur les Français[3]. Cette contradiction, à elle seule, aurait dû faire accueillir avec réserve ces versions diverses, qui sont pourtant les plus accréditées. Si nos troupes avaient fourni le moindre prétexte, comment croire que les Saint-Sébastenais eussent hésité un instant à les accuser ? Comment admettre qu’ils aient calomnié de gaieté de cœur ceux-là même qui venaient les délivrer d’un joug étranger qu’ils ne portaient qu’en frémissant ? Aux assertions vagues et contradictoires du général anglais nous opposerons les termes du manifeste et de la correspondance. L’un et l’autre sont aussi explicites que possible. On nomme la maison qui fut brûlée la première, tout-à-fait au cœur de la ville, sur un point qui ne se prêtait à aucune manœuvre stratégique ; on précise l’heure de ce premier acte de vandalisme, accompli long-temps après la retraite des Français : on constate que ces derniers n’ont pas tiré une seule fois sur la ville dans cette terrible nuit[4], partout enfin on fait peser sur les alliés seuls une accusation qui porte non-seulement sur l’incendie même, mais encore sur un pillage organisé, prolongé pendant près d’un mois, et auquel participe toute l’armée. Enfin, une enquête solennelle, faite sous les yeux d’un commissaire envoyé par la régence d’Espagne, donne à tous ces détails le cachet d’une entière authenticité[5] . On ne peut donc en

  1. Environ 40 francs.
  2. « El bien general exigia que la plaza fuese atacada y tomada, y en los esfuerzos que al efecto se hicieron se pego fuego à la ciudad, resultando los males y desgracias que V. SS. indican. » (Suplemento, pièce n° 3.)
  3. « Et curso de las operaciones de la guerra hizo necesario et que la expresada plaza fuese atacada para hechar et enemigo del territorio español ; y fue para mi un asunto del mayor sentimiento et ver que el enemigo la destruyo por su antajo. » (Suplemento, pièce no 6.)
  4. Après le dernier coup de canon dont nous avons parlé plus haut, il n’y eut plus aucun acte d’hostilité entre les Français et les alliés. Le général Rey avait compris que toute résistance était inutile, et il obtint peu de jours après une capitulation honorable.
  5. « … Y el fuego que por primera vez se descubrio hacia et anochecer muchas horas despues que los Franceses se habian retirado al Castillo… Entre tante se iva propagando et incendie, y aunque los Franceses no disparaban ni un solo tiro desde el Castillo, no se cuitto de atajar lo. » (Manifesto.)
    « Muy lastimosa es sin duda la desgracia de unos pueblo tan benemeritos (Numancia, Sagunto)… Pero la infeliz ciudad de San-Sebastian destruida por la inhumanidad de nuestros aliados mismos, sumergida por su insensibilidad en un cahos de calamitades, insultada por elles en su honor, precisada a luchar contra su obstinacion en negar les bechos mas notorios, que consuelo puede esperar para et alivio de tan graves males ? »
    « El ayuntamiento faltaria a su deber si en tan triste situacion diffriese et suplicar a V. À se digne comunicar al congreso nacional et resultado de las informaciones judiciales recibidas en esta ciudad, Pasages, Renteria, Tolosa y Zarauz sobre les funestos, acontecimientos del dia del asalto y sucesivos. » (Suplemento, pièce n° 10.)