— Votre seigneurie ne me reconnaît pas ? demanda Ismaël tout interdit.
— Non. De quelle maladie vous ai-je guéri ?
— Ce n’est pas moi que vous avez soigné, reprit Ismaël, mais une petite aveugle…
— Fatimah ? interrompit le médecin en levant les yeux sur lui. En ce cas, tu es Ismaël, le mousse, le pâtre, l’ânier… et puis quoi encore ? - Le nakoda, répliqua Ismaël ; j’ai navigué dans la mer des Indes.
— Et tu y as fait ta fortune ?… Enchanté de te revoir ! Asseyez-vous, nakoda.
Le médecin frappa dans ses mains pour qu’on apportât la pipe et le café : l’infidèle et le vrai croyant se placèrent sur un divan, côte à côte, près d’une fenêtre qui laissait voir dans le jardin. Les enfans du médecin, s’y promenaient à l’ombre, conduits par une jeune fille vêtue de ce gracieux costume orientale que les femmes portent dans l’intérieur des maisons. Une écharpe de mousseline blanche entourait sa tête et lui enveloppait le cou ; sa taille était serrée dans une petite veste de drap turc, et sous sa tunique descendaient de larges pantalons brodés qui lui retombaient sur les pieds. Elle chantait à demi-voix, en cueillant des raisins et des figues. Pendant qu’ils fumaient l’un et l’autre, le docteur interrogeait Ismaël sur ses voyages, et celui-ci, trop bon musulman pour jeter autour de lui des regards curieux ou indiscrets, répondait aux questions de son hôte avec beaucoup de gravité. Il avait aussi des questions à faire, mais il ne savait trop comment s’y prendre. Et puis, si Fatimah eût été guérie, le médecin le lui eût sans doute appris au moment même où il l’avait reconnu ?
— Ainsi, mon ami, reprit le docteur après un moment de silence, et comme s’il eût voulu prolonger la conversation, Dieu t’a récompensé ? Je te l’avais prédit… Moi aussi, j’ai assez bien réussi au Caire ; quelques cures heureuses… Tu vois, Ismaël, j ai une jolie maison, un jardin.
En parlant ainsi, il attira Ismaël vers la fenêtre. La jeune fille chantait toujours sous les figuiers, et sa voix fit tressaillir l’Égyptien. En voyant leur père à la croisée, les enfans étaient accourus ; ils apportaient des fruits que le docteur offrit à Ismaël ; mais celui-ci, immobile, le regard fixe, cherchait à découvrir les traits que la jeune fille, en l’apercevant, avait cachés sous son voile. Il la considéra ainsi quelques minutes, comme le marin qui s’efforce de reconnaître une terre sous les vapeurs changeantes d’un nuage ; puis, tout à coup, il appela Fatimah ! et lança dans le jardin le bâton recourbé qu’il tenait à la main.
À ce cri, la jeune fille dressa la tête, puis elle se baissa en tremblant, prit dans ses mains la tige de palmier lisse et flexible, et, comme suffoquée