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à bord d’un navire persan ou arabe est un incident fort ordinaire. L’équipage ne fait point difficulté de partager son repas avec le mendiant voyageur, que chacun considère comme l’hôte de Dieu.

Pendant quelques jours, le pèlerin, incommodé sans doute par le roulis de la mer, auquel il paraissait peu habitué, demeura blotti à la proue du bâtiment. Les jambes croisées sur sa natte, la tête enveloppée d’une couverture, il remuait entre ses doigts le chapelet à grains d’ambre, récitant avec componction les innombrables noms d’Allah. Les matelots lui apportaient des fruits et des morceaux de ce nougat fort estimé des Arabes, qui se compose de miel et de lait de chamelle. La pipe et le café lui étaient présentés souvent par Ismaël, qui, en se promenant sur le pont, lui adressait de bienveillantes paroles. Peu à peu le pèlerin mangea de meilleur appétit ; il sortit de sa torpeur, et, comme un homme qui a besoin d’exercice, se mit à faire aussi les cent pas, sur le tillac. Sa démarche devenait de plus en plus assurée ; il se tenait droit, la tête haute, les mains derrière le dos, si bien qu’Ismaël commença à trouver que, pour un Hindou, il avait une allure un peu militaire. Cette remarque le conduisit à exercer sur son passager une certaine surveillance, mais sans trahir sa défiance d’aucune façon. Un jour donc, Ismaël, ayant nettoyé ses pistolets rouillés par l’humidité de la mer, les laissa, comme par hasard, sur le cabestan, à la proue du navire ; puis il se retira derrière la galerie de la cabine. Le pèlerin ne tarda pas à approcher ; il prit les pistolets d’une main ferme, en fit jouer les ressorts, et les tint à pointe de bras, comme s’il eût ajusté un ennemi.

— Voilà un pèlerin qui manie les armes mieux encore qu’il ne fait tourner les grains d’un chapelet ! se dit Ismaël. Cet Hindou est né plus près de Smyrne que de Madras !… J’ai vu cet homme-là quelque part, un turban sur la tête, des pistolets aux poings comme tout à l’heure ! C’est un Turc qui a changé de peau !

Cependant le bagglow naviguait dans la mer des Indes et faisait bonne route. Fidèle à son rôle de pèlerin, l’étranger racontait aux matelots ce qu’il avait vu dans son voyage à Médine et à la Mecque ; ceux-ci lui témoignaient de grands égards ; ils se réunissaient le soir autour de lui pour écouter ses conseils et faire la prière sous sa direction. Pour la plupart, ils étaient nègres, comme nous l’avons dit, par conséquent ignorans, crédules et peu portés au travail. Les Arabes qui servaient à bord en qualité d’officiers se plaignaient à Ismaël de ce que l’équipage oubliait la manœuvre pour écouter les histoires du haddji (pèlerin) ; quelques coups tombaient sur les épaules des noirs, qui couraient aussitôt à la proue demander des consolations au saint personnage. Ces détails n’échappaient point au nakoda Ismaël. L’influence exercée