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Arabes dont les paroles l’avaient frappé : « Vis de la fatigue de ton bras et de la sueur de ton front ! »

Un matin qu’il arrivait de bonne heure à sa place accoutumée, un Européen monta sans rien dire sur son âne, et s’achemina vers le quartier des chrétiens. Il y a là un labyrinthe obscur de ruelles, de cours et de passages couverts qui se ferment chaque soir, et dans lesquels il est assez facile de s’égarer en plein jour. Ismaël suivait pas à pas, la main sur la croupe de sa bête. L’Européen le regardait de temps à autre, et, quand ils débouchèrent sur une rue mieux éclairée, Ismaël crut reconnaître le médecin qui avait emmené la petite aveugle. Comme s’il eût voulu faire ranger les passans, il se plaça à la tête de son âne, et jeta derrière lui des regards furtifs, si bien que le médecin, — car c’était lui, le reconnut à son tour.

— Ah ! ah ! lui dit celui-ci, refuses-tu toujours les pourboires que l’on t’offre ?

— Ismaël répondit par un geste qui signifiait : Faites-en l’essai, et vous verrez !

— Tu as déjà exercé bien des métiers, reprit le médecin ; Fatimah, qui sait ton histoire, me l’a contée… Tu as un bon cœur, Ismaël ; du courage, mon garçon, et Dieu t’aidera !

Puis, comme l’ânier lançait sur lui des regards interrogatifs : — Mon enfant, ajouta-t-il, je ne suis point un santon qui guérit les malades avec des prières, ni un derviche qui a le don des miracles. Fatimah ne voit pas encore. La guérison sera longue. — Cela dit, il s’arrêta devant une porte qui s’ouvrit pour le laisser entrer, et disparut après avoir payé généreusement Ismaël.

Parfois le petit ânier avait des pratiques à conduire au Vieux-Caire, et, à la vue des barques innombrables rangées dans le port, il sentait renaître plus vivement le désir de naviguer qui ne s’effaçait point en lui. Les récits de voyages qu’il entendait à la porte des cafés excitaient encore son humeur vagabonde. Il se mêlait aux aventures racontées dans ces lieux de réunion, devant un auditoire attentif, bien des fables, bien des circonstances merveilleuses qui leur prêtaient un grand charme. Ignorant et pauvre, Ismaël regardait avec admiration les marchands au brillant costume qui parlaient de Bagdad et de Samarcande, de Ceylan et du Cachemire. La fortune habitait donc ces lointaines contrées ; mais comment s’y rendre ? comment faire le premier pas dans cette route qui conduit à la richesse ? C’était là ce qui l’embarrassait, ce qui l’arrêtait court quand il essayait de former des projets. Cependant le hasard, qui se plaît à servir les gens simples et les hommes de bonne volonté, se chargea de le mettre sur la voie. Un steamer anglais partait de Suez pour l’inde ; beaucoup de voyageurs