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BELLAH.

parence. tenant Je milieu entre le manoir et la ferme, et qui n’avait d’autres titres à l’honneur d’un tel hôte que sa situation agreste et retirée. C’est dans la cour de cette résidence que nous prions le lecteur de se transporter, en le prévenant qu’il s’est écoulé quatre jours entre les dernières scènes de notre récit et celles qui vont suivie.

11 était une heure de l’après-midi : au milieu du terrain enclos de murs qui s’étendait devant le principal corps de logis, des soldats aux uniformes divers jouaient ou causaient avec une liberté mêlée d’une certaine réserve qui décelait la présence du maître ; les plus actifs s’occupaient de fourbir au soleil des armes ou des mors de chevaux ; les plus mélancoliques, couchés sur le sol dans des attitudes variées et souvent opposées, paraissaient les uns suivre les nuages dans leurs combinaisons mobiles, les autres se livrer à des études botaniques. Un coin caractéristique de ce tableau était formé par deux grenadiers à moustaches grisonnantes, qui, ayant posé une longue planche en équilibre sur un tronc d’arbre abattu, se balançaient avec une gravité silencieuse, comme si le salut de leur ame eût dépendu de cette affaire. Ce fut vers ce groupe que se dirigea un jeune officier qui traversait la cour en ce moment, des papiers à la main et une plume entre les dents :

— Eh bien ! Mayençais, dit-il, est-ce que le commandant Pelven n’est pas encore revenu ? —Pas encore, répondit Mayençais, qui était alors au plus haut degré de son ascension. — N’en a-t-ou aucune nouvelle ? — Aucune, dit Mayençais redescendant majestueusement vers l’abîme.

— Prends garde de choir, vieux porc-épic, reprit le jeune homme, un peu offensé du laconisme de son interlocuteur et poussant du pied le fragile théâtre des jeux de Mayençais. La planche, cédant à cette impulsion, pivota d’abord sur elle-même, et finit par glisser sur le gazon avec ses adhérens, à la vive satisfaction du public.

Pendant que les deux vieux jouteurs appliquaient tous leurs soins et leur sérieux imperturbable à replacer leur marotte sur son point d’équilibre, la sentinelle, postée extérieurement près d’une grande porte cintrée qui ouvrait sur la campagne, fit entendre un qui vive ! auquel répondit une voix rude et brève : la sentinelle présenta les armes ; l’instant d’après cinq cavaliers, les vêtemens en désordre et souillés de taches d’écume, entraient bruyamment dans la cour. Quatre d’entre eux avaient l’uniforme des hussards de la république ; le cinquième, celui qui était entré le premier, paraissait étranger à l’armée : il ne portait d’autres signes distinctifs qu’une ceinture et un panache tricolores. Le silence soudain qui succéda dans la cour du manoir au tumulte d’une récréation militaire, et l’espèce de timidité avec laquelle on se murmura le nom du nouveau venu, témoignèrent qu’il était pour le plus grand nombre des assistans une ancienne connaissance,