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le saxon est assez riche pour tous les besoins intellectuels terre au XIXe siècle. Il y a des pasteurs qui ne prêchent qu’en saxon. Peut-être y aura-t-il bientôt des superstitieux qui, en retranchant le normand de leur langue, croiront retrancher de leur histoire la conquête normande, et qui voudront que les Anglais soient plus ancien que l’Angleterre. C’est le travers ; mais cet amour du pays ne vaut-il pas bien qu’on le paie d’un petit ridicule ?

Je n’en admire rien tant que la pudeur des Anglais sur les mauvais temps de leur histoire. J’en ai vu de fort émus de la peinture que fait M. Macaulay, dans un ouvrage récent[1], de la civilisation anglaise au temps de Charles II. Ils se demandaient avec inquiétude si la considération de leur pays ne perdait pas plus à ce tableau de ce qui lui manquait au XVIIe siècle, qu’elle ne gagnait à ce qu’on fît valoir par comparaison ses étonnans progrès. J’entendais contester vivement certains détails du livre, surtout en ce qui regarde l’état de l’instruction, le nombre et l’importance des bibliothèques à cette époque. Il s’en préparait, m’a-t-on dit, des réfutations en forme. Quant à l’état moral d’alors, aux scandales politiques d’où est sortie la liberté anglaise, à l’extrême relâchement des mœurs, à la complicité de la nation dans la corruption de son gouvernement, on insinuait qu’il eût été plus sage d’en voiler le tableau et de ne pas relever, par de si humilians aveux, l’honnêteté de l’époque présente. J’étais touché de cette piété qui ne veut pas que la probité des fils fasse honte à la mémoire de leurs pères. Il n’en est pas moins vrai que, sauf quelques traits de trop échappés à un pinceau facile et brillant, M. Macaulay a bien fait de découvrir ces anciennes plaies. La pudeur même de ses compatriotes le justifie, et l’exemple en est excellent pour tous ceux qui ont à écrire les annales d’un peuple libre.

Il est temps, en effet, que l’histoire fasse aux nations une part de responsabilité dans le bien comme dans le mal qui leur vient de leurs gouvernemens. Nos derniers temps ont vu certains ouvrages historiques où le peuple est sur le premier plan, et les gouvernemens sur le second ; mais c’est le vieil esprit de flatterie qui a quitté les gouvernemens pour passer du côté du peuple, depuis que le peuple parait le plus fort. J’applaudirais, pourtant à cette nouveauté, si elle devait en susciter une autre, celle d’une histoire écrite d’un style populaire qui mît courageusement sous les yeux d’une nation libre le tableau de ses caprices, de ses engouemens, de sa tendresse pour ceux qui la louent, de son peu de goût pour les conseils ; qui lui montrât comment ses admirations

  1. Histoire de l’Angleterre depuis le règne de Charles II. Cet ouvrage, à la fois solide et agréable, était dans toutes les mains à l’époque de mon séjour en Angleterre. (Voyez, sur l’ouvrage de M. Macaulay, la Revue du 1er septembre.)