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aident à conserver les bons usages. La fierté anglaise n’en paraît pas humiliée, et le roi lui-même n’en est pas dupe. Il ne prend pas pour lui l’hommage qui s’adresse aux reliques ; il sait qu’on s’agenouille devant la royauté, non devant le roi. Telle est, en Angleterre, la doctrine monarchique : ce qu’on respecte et qu’on aime dans le roi, ce n’est pas la personne, mais la fonction. La mort de Charles Ier, l’expulsion de Jacques II, n’ont été que des sacrifices de la personne au principe. Deux fois, en Angleterre, la royauté a survécu au roi. Cela prouve combien on y estime l’institution et combien, par contre, un roi d’Angleterre se méprendrait, s’il voyait dans la dignité royale le privilège et non l’office.

Il y a, même dans le parti tory, bon ombre de très honnêtes gens qui approuvent en droit la mort de Charles Ier. J’assistais un jour à une discussion sur ce point entre deux tories de beaucoup de mérite, l’un ancien officier, l’autre membre éminent du barreau anglais. Le premier, esprit agréable et délicat, d’une instruction très variée, ayant beaucoup voyagé, sachant plusieurs langues et parlant la nôtre à merveille ; l’autre, jurisconsulte profond, esprit très pratique et très orné, sachant par cœur tous les beaux vers des poètes anglais et en faisant lui-même d’agréables, parlant avec l’abondance du barreau et la précision qu’on y désirerait, en homme qui a des idées et qui ne harangue pas en les attendant : c’étaient deux types accomplis des classes moyennes en Angleterre. L’officier, outre la fidélité militaire qui est plus personnelle, paraissait plus touché du grand intérêt de l’autorité royale ; il blâmait la mort de Charles Ier comme une irréparable atteinte à un principe si nécessaire à la liberté, disait-il, qu’il eût été digne de la nation anglaise de pardonner au roi ses manquemens à la royauté, pour ne pas ébranler le principe en portant la main sur la personne. L’homme de loi, plus préoccupé de la question légale et de la couronne que de la tête couronnée, tout en regrettant en homme de bien et en chrétien un acte sanglant, tirait de la nécessité même du principe l’excuse du sacrifice qu’on avait dû lui faire, et estimait qu’en ôtant la vie au roi parjure on avait consacré de nouveau la fonction. Je n’étais guère compétent pour les départager. Que pouvait dire, sur un sujet si grave, un Français âgé d’un peu plus de quarante ans, qui a déjà vu cinq changemens de gouvernement dans son pays ? Mes deux interlocuteurs eurent la civilité de ne pas me demander mon avis. Je me contentai de les écouter, et, quoique citoyen d’une république, j’admirais que deux hommes libres, presque plus libres que moi, fussent si convaincus de l’excellence de la royauté que l’un lui pardonnât ses torts envers la liberté, par intérêt pour la liberté elle-même, et que l’autre approuvât le régicide par amour pour la royauté.