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maintiendrez, soutiendrez et défendrez les droits, privilèges, franchises et libertés de cette isle, vous opposant à quiconque les voudrait enfreindre ou corrompre ; finalement vous vous conformerez selon le bon avis et conseil de messieurs de justice de temps en temps, selon que la cause le requerra. »


Cependant il resta un fonds de défiance dans les esprits ; la population, un peu mécontente, brûla, cette année-là, moins de barils de goudron qu’à l’ordinaire le jour de la fête de la reine. Un comité de patriotes se forma, qui chargea à sont tour des commissaires d’aller déposer une représentation aux pieds de leur glorieuse souveraine. Les commissaires eurent une entrevue avec le ministre, et revinrent tout joyeux dans leur île apporter la nouvelle que, pour l’instant, il pas question de rien changer aux lois et coutumes du pays.

Est-ce à dire que ces lois et coutumes ne courent plus désormais aucun danger ? À notre avis, le péril qui les menace viendrait surtout du peu de discrétion que mettent les journaux du lieu à discuter cette question vitale[1]. Elle est devenue le champ de bataille des deux partis, car il y a deux partis à Jersey (devons-nous nous étonner qu’il y en ait cinq ou six en France ?). L’un, celui des lauriers, qui a pour organe le Constitutionnel, représente la classe influente des propriétaires fonciers ; il ne se déclare pas l’ennemi juré des droits seigneuriaux, mais il verrait sans chagrin modifier l’organisation de la cour royale ; l’autre, celui des rosiers, plus puissant par le nombre prétend réformer ce qu’il y a d’abusif dans les coutumes anciennes sans toucher aux lois fondamentales, sans altérer surtout le systèmes des charges électives et non rétribuées : son journal est la Chronique. Il saute aux yeux que le premier de ces deux partis perdrait moins que le second au triomphe des lois anglaises sur les coutumes normandes. Au fond cependant, ils sont l’un et l’autre conservateurs et novateurs à un certain degré ; ce qui ne les empêche pas d’user largement de la liberté de la presse pour se dire des vérités qui pourraient bien tourner au détriment du pays. Tout n’est pas parfait, d’ailleurs, dans les institutions de Jersey ; les temps changent ; la navigation à vapeur, après avoir été une source de prospérité pour l’archipel, pourrait bien aussi déterminer sa ruine. Ces îles sont désormais trop près de Londres ; l’élément anglais s’y implante rapidement, et trop de voix intéressées jasent sur ce petit monde. Plus d’un Jersyais, par ambition, se consolerait d’être Anglais, et plus

  1. Il se publie à Jersey une douzaine de journaux : cinq en français et de petit format, le reste en anglais et de grand format. Ces derniers sont destinés presque exclusivement à l’exportation. Comme le timbre est inconnu dans les îles, la vente sur le territoire britannique de ces news papers non timbrés constitue une véritable fraude. Les uns et les autres ne paraissent que deux et trois fois par semaine. Guernesey n’imprime de journal en français que depuis 1848.