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cas contraire, imposer d’autorité après une nouvelle dissolution. Pour justifier la mesure que bien des gens s’attendaient à lui voir prendre, on s’est efforcé de prouver que la loi électorale, produit d’une ordonnance du roi Charles-Albert, pouvait très bien être changée par voie d’ordonnance, attendu qu’elle n’avait été établie dans le principe qu’à titre d’essai. Ces subtilités sont inacceptables et dangereuses. À quoi bon les mettre en avant aujourd’hui pour se donner l’air de rester dans la légalité, lorsque demain un autre plus osé pourrait argumenter du précédent pour supprimer la constitution tout entière ? Il faut appeler les choses par leur nom. Ce qu’on propose, et ce qui, nous le savons, deviendra peut-être indispensable, c’est un coup d’état. Or, il est toujours prudent d’éviter un coup d’état, et, quand on s’y résout, il est bon de pouvoir se rendre le témoignage que l’on y est forcé par la loi suprême du salut public. Nous aimons sur ce point les scrupules poussés à l’excès que viennent de manifester le roi de Sardaigne et ses ministres, sûrs d’ailleurs que, le moment venu, ils n’hésiteront pas et sauront, forts de leur conscience, sauver le pays malgré lui-même. Or, nous le demandons, après cet appel suprême et touchant que le roi Victor-Emmanuel vient de faire à son peuple en termes si nobles et si remplis de fermeté, après cette dernière marque de condescendance qu’il vient de donner, que le résultat des élections soit défavorable, que la chambre démocratique revienne à Turin avec le même esprit d’hostilité et les mêmes dispositions, qui osera accuser le gouvernement, quelle voix s’élèvera contre lui en Italie et en Europe, s’il brise les entraves dans lesquelles des sophistes de légalité s’efforcent de l’emprisonner, et s’il s’affranchit de l’interprétation judaïque d’un texte de loi pour en référer à l’opinion de la nation entière par la voie du suffrage universel ?

C’est dans ce sens, en effet, qu’il faudra remanier la loi électorale actuelle. Par le suffrage universel seulement, on pourra avoir raison de cette aristocratie bourgeoise qui, depuis deux ans, s’est imposée au pays sous prétexte de le débarrasser de l’ancienne noblesse militaire, laquelle avait certainement ses inconvéniens et ses abus, mais qui au moins, sans tant parler, savait mourir sous le drapeau, alors même que le ministère démocratique était au pouvoir. La loi électorale actuelle est défectueuse, nous l’avons fait sentir en commençant, et l’expérience l’a prouvé surabondamment ; mais ce ne serait rien de faire entrer la totalité de la nation en partage du droit électoral ; si le vote direct et au district était conservé, les mêmes inconvéniens déjà signalés ne manqueraient pas de se reproduire. Ce n’est qu’en l’établissant à deux degrés qu’on pourra le faite fonctionner. Avec la loi électorale, une loi répressive de la presse, dont la licence est encore à cette heure telle qu’elle était chez nous l’année dernière avant les journées de juin, enfin une loi qui règlemente le droit d’association, telles sont les trois conditions nécessaires qu’il s’agit de réaliser de gré ou de force, si l’on veut conserver en Piémont l’exercice de la liberté constitutionnelle. Ces trois projets de loi seront les premiers que le ministère devra présenter au prochain parlement, si la majorité lui est favorable, ou décréter sous sa responsabilité s’il se voyait contraint de recourir à une nouvelle dissolution.

Le ministère aura-t-il ou n’aura-t-il pas la majorité ? Telle est aujourd’hui la question vitale posée en Piémont. Bien des gens nous ne nous dissimulerons