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spectacle qui soulevait la nature, et dont l’atrocité remplit encore aujourd’hui les esprits d’horreur. Ce qu’il y de plus affreux pour les peuples, c’est que quelquefois ces cruautés réussissent, et le succès encourage à traiter les hommes comme des bêtes farouches. »

À Dieu ne plaise que l’amour de la citation ou de la déclamation nous fasse appliquer complètement les paroles de Voltaire à ce qui s’est passé en Hongrie après la victoire de 1849 ! Il y a eu des exécutions, il y en a eu trop : les bourreaux seulement ne se sont pas lassés à tuer pendant neuf mois ; mais l’exécution du comte Bathyani a affligé les cœurs généreux, et quand on a vu que les coups de la justice militaire tombaient surtout sur quelques-unes des têtes les plus hautes de l’aristocratie hongroise, et que la confiscation des biens suivait la condamnation, on s’est souvenu des émeutes de la Gallicie ; on a pu reconnaître le système de l’Autriche, dont la cour à Vienne, est fort aristocratique, mais dont l’administration est partout favorable au petit peuple des campagnes et ennemie des seigneurs. Nous n’avons pas le droit, nous autres Français de blâmer ce système, quand il ne va pas de la faveur envers les uns à la persécution contre les autres. Ce qui a rendu enfin les exécutions judiciaires de la Hongrie plus douloureuses, c’est qu’il y a eu une grande inégalité dans la manière dont les vaincus ont été traités. Nous ne parlons pas des procédés généreux affectés par les Russes envers leurs prisonniers : il y avait là une petite malice contre l’Autriche ; mais enfin Gorgey est libre, les insurgés de Comora, c’est-à-dire ceux qui ont le plus long-temps résisté à l’Autriche et continué l’exemple de l’insurrection, sont libres aussi et bien traités. Où est la justice ? La guerre traite inégalement les gens ; c’est tout simple. Le hasard et l’accident ont une grande part dans la guerre ; mais aussitôt que la justice paraît, fût-ce même la justice militaire, elle doit être égale pour tous.

L’insurrection hongroise avait d’abord inspiré quelque sympathie en Allemagne. Cependant le teutonisme avait fini par prévaloir dans les esprits. Le Teuton, en effet, a beau vouloir être libéral ; avant tout, il est Teuton, et, à ce titre, il croit que l’Allemagne a droit à la possession de l’Italie par exemple d’une bonne partie de la Pologne, peut-être de quelques portions de la Hongrie ; nous ne parlons pas de la Lorraine et de l’Alsace, qui sont la terre promise des sectaires du teutonisme. Les hongrois, en Allemagne, plaisaient assez comme insurgés ; mais ils déplaisaient comme ennemis d’une puissance allemande. Aussi les rigueurs de l’Autriche contre la Hongrie n’ont pas choqué l’Allemagne aussi vivement que nous aurions pu le croire. D’ailleurs, ces rigueurs auraient surtout révolté l’opinion populaire ; et au moment où l’Autriche reparaissait en Allemagne, l’opinion populaire n’avait plus voix au chapitre. Nous avons expliqué comment, depuis la dispersion de l’assemblée de Francfort, la question allemande avait passé des mains des assemblées aux mains des princes, qui, ayant eu le bon esprit de vivre et de durer pendant la tempête, se retrouvaient, après l’orage, debout encore et maures de leur sort.

Quand nous disons que les princes allemands se sont retrouvés maîtres de leur sort, nous nous trompons quelque peu : ils étaient maîtres de leur sort contre la démagogie ; mais ils dépendaient de la Prusse, qui avait vaincu la démagogie