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incompatibilités, peut-il y avoir une meilleure démonstration que le discours de M. Raspail, voulant créer une incompatibilité nouvelle, celle de banquier et celle de ministre des finances ? Ah ! vous aimez les incompatibilités, Vous croyez qu’elles sont utiles à la liberté, et vous en avez introduit bon nombre dans notre constitution. Eh bien ! vous allez voir comment la montagne entend cette doctrine et surtout par quels argumens elle la défend. Il y a un ministre des finances qui a volé 1,500,000 francs. — Qui ? qui ? nommez-le, crie l’assemblée A quoi l’orateur répond qu’il est jeune, qu’il ne connaît pas tous les ministres des finances, qu’on le lui a dit, et, comme il s’agissait des ministres de la monarchie, il a cru la chose sans chercher à la vérifier. Cependant comme en disant ces choses-là ou les analogues, l’orateur était un peu embarrassé de l’insistance de l’assemblée qui ne voulait pas que tous les ministres des finances de la restauration et de la monarchie de juillet fussent indignement calomniés, un des amis de l’orateur, pour venir à son secours, lui a crié : « Vous avez dit un ministre et non pas un ministre des finances ! » Admirable secours que cette remarque ! L’assemblée s’indigne que l’orateur calomnie les vingt ou trente personnes qui ont été ministres des finances ; on suggère alors de calomnier tous les ministres de tous les départemens ministériels. Qu’importe après tout ? Cela ne fait qu’augmenter la liste des suspects.

M. Raspail ne s’est pas contenté de calomnier au hasard tous les ministres des finances ; il a aussi, et au hasard, calomnié tous les rois. Puisse cela le grandir dans son parti ! Il y a eu en effet un roi, l’orateur ne sait pas lequel, qui écrivait au roi Louis-Philippe pour lui reprocher d’avoir fait manquer une opération de bourse que faisait ce roi quelconque. L’orateur n’a pas vu la lettre ; mais qu’importe ? On lui a dit qu’un roi avait écrit cela à un roi : il s’est dépêché de le croire et de le dire. M. le duc de Montebello, dans quelques paroles énergiques et nobles, a exprimé, le dégoût qu’inspiraient à l’assemblée de pareilles calomnies ; mais M. de Montebello sait bien que ce n’est pas pour l’assemblée que parlent les orateurs de la montagne. Il y a d’autres oreilles dressées pour entendre ces grossières imputations. L’assemblée les repousse, les clubs les accueillent. Elles y deviennent l’évangile de la haine. Les méchancetés et les rumeurs de 87 et de 88 contre la reine de France devinrent en ses les griefs du tribunal révolutionnaire contre Marie-Antoinette.

Nous venons d’indiquer de quelle manière la montagne à la majorité, de salutaires scrupules sur les doctrines adoptées par la constitution ou sur les préjugés que le parti modéré pourrait avoir. Est-ce là le seul service qui la montagne rende à la majorité ? Non : il en est un plus général et plus quotidien que la montagne rend sans cesse à la majorité, et que la majorité, nous le répétons, a besoin qu’on lui rende sans cesse : c’est de lui montrer l’abîme ou le parti modéré et la société tout entière sont près de rouler, si la majorité s’avise un instant de céder à ses divisions intérieures. Voyez sur quelques paroles de M. Ségur d’Aguesseau les colères furieuses qui s’élèvent ! Il a plu à M. Ségur d’Aguesseau de rendre hommage au courage des gardes municipaux qui sont morts le 24 février pour défendre la loi, celle qui régnait alors : la montagne crie aussitôt qu’on outrage la république. Eh quoi ! est-ce que la république légale date du 24 février ? Est-ce que M. Ledru-Rollin n’a pas proclamé à la tribune que le 24 février était un fait ? Il est donc permis de juger