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une insurrection victorieuse, voila la seule manière d’empêcher le président de gouverner personnellement La montagne, autrefois, n’a voté la responsabilité du président que parce qu’elle entrevoyait dans cette responsabilité des chances d’accusation et de déchéance. Où la raison aurait dû indiquer qu’on créait par la responsabilité un quasi-dictateur, la montagne a cru qu’elle se créait une sorte de victime permanente, et cela lui a plu. De là ces grands appels que nous entendions avant le 13 juin à la justice populaire, ces cris de déchéance, ces clameurs contre le président et ses ministres, qu’on envoyait à Vincennes, et qui n’y seraient pas, hélas ! arrivés. Voilà dans la montagne la doctrine de la résistance au gouvernement personnel. Est-ce là ce que veut le parti modéré ? Ne sait il pas que le lendemain de la déchéance appartient à la plus effrénée des démagogies ? Ne comptez plus sur la modération même relative des chefs ; ils ne pourront plus être modérés, voulussent-ils l’être. C’est comme cela, leur dira-t-on, que vous vous êtes laissé duper la première fois. Comptez donc sur une révolution spoliatrice et par conséquent sanguinaire. Les plaintes que le parti modéré ferait sur le gouvernement personnel iraient s’ajouter involonlairement aux doctrines de la montagne, et lui prêteraient de la force. C’est le mal le plus douloureux des temps de licence qu’on n’y peut pas parler et agir pour la liberté, car le bien alors tourne inévitablement au mal. Dans des temps d’impiété, parler contre la superstition, c’est favoriser l’impiété dans des temps de révolution et de démagogie, parler contre la tyrannie, c’est favoriser la révolution et la démagogie. Tristes jours que ceux où les sages ne sont plus maîtres de leurs paroles et de leurs actions ! Tel est en ce moment le sort que les événemens font au parti modéré. Les violences de la montagne interdisent au parti modéré l’usage des plus naturelles fantaisies.

Voulez-vous un autre exemple de ces utiles limites d’opinion que la montagne impose au parti modéré ? Cette quinzaine nous en a offert un exemple curieux. La constitution de 1848, héritière en cela de quelques-unes des traditions de l’opposition des anciennes chambres, a fait grand usage et peut-être abus de la doctrine des incompatibilités. Elle a créé je ne sais combien d’incompatibles A-t-elle eu tort ? a-t-elle eu raison ? L’avenir le dira. Nous devons seulement remarquer en passant que si, comme on a tort de le croire généralement, le gouvernement parlementaire est en train de périr, il est bizarre qu’il périsse dans un temps où le remède qui devait, dit-on, le faire revivre est si largement appliqué. La compatibilité du mandat de fonctionnaire et du mandat de député n’était donc pas un des côtés faibles du gouvernement parlementaire. C’était plutôt le côté faible de l’administration, et, pendant que les badauds se plaignaient que l’administration envahit les chambres, M. Thiers, nous nous en souvenons remarquait avec sa sagacité habituelle que c’était au contraire les chambres qui envahissaient l’administration, si bien qu’en séparant absolument le parlement de l’administration comme l’a fait la constitution de 1848, en créant entre les dépositaires de ces deux forces une incompatibilité rigoureuse et multiple, il pourrait se trouver, en fin de compte, que ce fût le parlement qui fût affaibli et l’administration qui fût fortifiée, d’autres circonstances surtout aidant à ce changement politique.

Revenons à l’exemple que nous voulons mettre en lumière. Peut-il y avoir, pour discréditer et pour ruiner dans l’esprit des gens sensés la doctrine des