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passions qui avaient causé une semblable mort ? Cette tâche si délicate et si périlleuse n’a servi qu’à faire mieux ressortir l’art exquis et profond du panégyriste, l’élévation et la finesse de son esprit, la pénétrante justesse de ses réserves, et cette équité magistrale qui ne consent jamais à destituer le l’intelligence et la liberté, parce que l’on commet en leur nom des crimes ou des folies.

Selon nous, il y a là une mesure, un point difficile, mais important à fixer, et que doivent soigneusement maintenir tous ceux qui, comme M. Minet ont mérité, par la sage économie, par l’habile distribution de leurs facultés éminentes, que l’on adoptât l’autorité de leur exemple et de leur parole. Sans doute, pour les esprits extrêmes, prompts le l’abattement ou à l’aigreur, c’est chose tentante aujourd’hui que de remonter vivement le courant, de rompre avec le présent par peur de l’avenir de renier ce qu’on a affirmé, d’affirmer ce qu’on a nié, de chercher enfin, d’une main toute tremblante des secousses révolutionnaires, à renouer la chaîne des sociétés et des intelligences au vieil et fragile anneau qu’ont brisé les révolutions. La tentation est grande, nous l’avouons : le parti serait-il sage ? y gagnerait-on un retour impossible vers ce qui n’est plus, une halte inespérée sur un sol bouleversé par les orages ? Non ; ce serait seulement fournir aux passions qui ont tué M. Rossi, et qu’a flétries M. Mignet le prétexte qu’elles invoquent sans cesse pour combattre une réaction par des violences nouvelles ; ce serait donner aux idées progressives un motif pour n’épargner rien à qui leur refuse tout. La vraie sagesse, l’élévation réelle, dans un temps comme le nôtre, consiste à la fois à lutter contre des entraînemens trop grossiers pour jamais séduire les esprits d’élite, et à se préserver de ce vertige qui, en face de tant de gouffres ouverts, fait aisément prendre l’horizon pour l’abîme. Heureux ceux qui conservent, dans ces instans d’étourdissement et de crise, le regard assez net, le pied assez ferme, pour distinguer ce qu’il est si facile et si périlleux de confondre ! Heureux surtout ceux dont la vie, le talent et les ouvrages forment, dans leur ensemble harmonieux et mesuré, l’éloquente réfutation de tout ce qui égare l’esprit moderne et de tout ce qui peut le décourager !


ARMAND DE PONTMARTIN.