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c’est trahir les véritables intérêts du pays, car c’est s’attaquer à l’existence même du travailleur, et par conséquent à la condition première de l’ordre et de la sécurité publique. Nous savons quel intérêt on mit en avant pour justifier ces mesures : l’intérêt du trésor, l’équilibre des recettes et des dépenses. Eh bien ! c’est précisément cet intérêt qu’on a desservi. C’est là qu’est le contresens. Quoi qu’on fasse, le gouvernement à bon marché sera long-temps encore une chimère en France. L’assemblée constituante a dressé deux budgets, le budget rectifié de 1848 et celui de 1849. L’intention des larges réductions n’a pas manqué ; la guerre aux abus était déclarée sur toute la ligne et poursuivie quelquefois avec plus d’ardeur que de réflexion. Qu’est-il sorti de tout cela ? En fin de compte, le résultat de toutes les réformes tentées n’est-il pas absorbé dans l’énormité du chiffre des dépenses ? D’ailleurs, le nouveau régime politique n’a-t-il pas ses charges propres ? et jusqu’à présent aperçoit-on quelque indice qui prouve que ce soit par l’économie que la république se distinguera des gouvernemens qui l’ont précédée ? Ces gouvernemens avaient, eux aussi, des charges très lourdes. Ce qui leur a donné la force de les supporter, de grandir même sous ce fardeau, n’est-ce pas l’impulsion donnée aux travaux publics, à ces travaux que la constituante a pris à tâche de restreindre ? La restauration avait dégrevé la propriété foncière de près de 92 millions ; le gouvernement de juillet s’est attaqué, lui, à l’impôt indirect ; il a imprudemment réduit l’impôt sur les boissons de plus de 30 millions, qui n’ont profité ni au consommateur, ni au producteur ; il a allégé de 13 millions au moins, tout compensé, la charge des droits de douane, et il a renoncé aux produits que l’état tirait des jeux et de la loterie, supprimés au grand profit du pauvre et de la morale publique, mais avec une perte annuelle de 18 millions pour le trésor. Cependant, malgré ces importans sacrifices, le revenu ordinaire de l’état s’est accru sans efforts, sans contrainte, sans nouvel impôt par le seul effet d’une consommation plus abondante et d’une circulation plus active, au milieu d’une aisance devenue plus générale. Cet accroissement atteint, terme moyen, la somme de 9 millions et demi par an sous la restauration, et de plus de 20 millions sous le gouvernement de juillet, pour les revenus indirects seulement ; sur l’ensemble du revenu public, l’augmentation moyenne est de 26 millions par année dans une période de vingt-cinq ans.

Tel était le signe évident, palpable, de cette prospérité croissante qu’exaltaient naguère les documens officiels, et qui, loin d’être une chimère, ou une formule banale de la logomachie parlementaire, était, à bien des égards, une bonne et bienfaisante réalité. Si l’on veut connaître maintenant quelle influence exercèrent les travaux publics sur ce développement si marqué de la richesse générale, les exemples ne nous manqueront pas.

M. Lacave-Laplagne, si malheureusement enlevé au pays au moment même où il était appelé par le suffrage populaire à lui consacrer de nouveau les fruits de son expérience, porte à 600 millions le coût annuel des transports sur nos routes (chemins vicinaux non compris)[1] ; c’est le chiffre qu’il avait déjà présenté aux chambres au mois de juin 1843, et qui se rapporte à des recherches

  1. Observations sur l’administration des finances pendant le gouvernement de juillet, page 60.