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adopté la cause de sa foi, sa foi s’est persuadée que Dieu réclamait ce que tente son ambition. Il est sincère passionnément sincère, et cependant il a recours au mensonge pour faire triompher ce qu’il considère comme la cause sainte. Il a la morale de son temps, la conviction que le but justifie les moyens. Ecoutons-le plutôt : il est dans sa cellule, et il a donné l’ordre à un de ses serviteurs de pousser des hurlemens dans la forêt voisine.


« Et appelles-tu cela une fraude, ô séculier à cervelle étroite ? Prêtre mondain, je te dis que ce n’en est pas une. Chacun de mes actes n’est-il pas une bataille livrée à Satan ? Oui, une bataille et une victoire ! Et qui osera prétendre qu’ils sont des mensonges, ces cris et ces hurlemens qui ne font que traduire aux oreilles vulgaires des vérités, sans cela insaisissables pour elles ? Où est Satan, sa substance, sa vie et son royaume ? Ce n’est point dans l’air, ce n’est point dans les entrailles de la terre, ni dans les feux intérieurs qu’il habite. C’est là, là dans le cœur de l’homme. Et si je l’en arrache, si je le chasse de son domaine, n’ai-je pas réellement accompli ce que le vulgaire comprend par ces cris et ces figures, quand il s’imagine que dans une lutte corporelle j’ai saisi Satan par le groin pour le terrasser ? »


La complexité et la richesse, c’est donc là ce qui distingue les caractères de M. Taylor, c’est là également ce qui frappe dans l’ensemble de ses productions. Si dans un sens il a lui aussi son idéal, cet idéal n’est point une conception générique dont il déduit toutes ses conceptions. C’est l’ensemble de son individualité, de ce qu’il aime comme de ce qu’il voit ; c’est l’image où toutes les énergies qu’il a aperçues dans l’humanité sont harmonieusement combinées suivant les lois qui représentent tout ce qui a pouvoir de l’attirer, de lui paraître normal. Le haut sentiment moral du poète perce ainsi partout ; mais, loin de dicter la loi à son intelligence, il ne sert qu’à en étendre la sphère. Il est seulement comme le point de comparaison qui l’aide à se définit les diverses espèces d’hommes qu’il a rencontrées dans son expérience ou dans ses lectures. Autour des grandes figures d’Artevelde et de Dunstan s’agitent sur la scène un grand nombre d’acteurs de tout rang, et il n’est pas un d’eux qui n’ait sa physionomie distincte. La fatigue que cause d’ordinaire l’habitude de la réflexion n’a point d’ailleurs alourdi la main de l’écrivain. Soit qu’il fasse chanter au fou Grimald la chanson du roi qui portait sa couronne où les abeilles portent leur aiguillon, soit qu’il ressuscite la sibylle anglo-saxonne dont l’ame était comme une hallucination permanente, M. Taylor est aussi à l’aise que lorsqu’il met en scène les natures supérieures où la pensée joue le principal rôle. À côté du chaste amour d’Adrienne pétille la verve sémillante de Claire d’Artevelde, la jeune fille toute de folles boutades dont l’esprit est une ruche d’essaims qui piquent et portent du miel. Van den Bosch blessé est magnifique. La mère d’Edwin, avec sa grossière superstition, n’est pas moins frappante que Dunstan avec son mépris pour cet aveugle instrument de ses desseins. Le jugement d’ailleurs n’a point étouffé les sensibilités de l’imagination. L’auteur d’Artevelde ne retrace pas seulement ce que l’esprit peut percevoir, il a aussi, quoique à un moindre degré, l’expérience de ces émotions indéfinissables qui précèdent l’exercice de toute réflexion, que l’on éprouve avant de savoir pourquoi. Isaac Comnène, visitant la nuit la tombe d’Irène, a, dans ses plaintes, des nuances qui ne pouvaient être devinées que par un homme d’une organisation des plus délicates :