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s’effrayer, soupçonner et admonester : ils ne feront que dépenser en pure perte leur courroux, leur sagesse, leurs paroles et leurs conseils. Je suis ferme et solidement affermi sur mes engagemens d’honneur envers cette belle exilée, et la tempête qui arrache les princes de leurs palais, dût-elle me saisir et me broyer, ne distendra pas même la trame de ce lien si faible qu’il paraisse. Maintenant, aux affaires. Viens ici, mon Elena. Je ne veux pas que tu partes comme une personne suspecte. Reste et entends tout. Mon père, pardonnez à la chaleur de mes paroles, et ne me jugez pas trop obstiné. »


Artevelde est là tout entier. Dans ces seules paroles, on lit en quelque sorte son caractère, son passé et sa fin.

Le dernier poème de M. Taylor, Edwin le beau, nous reporte au Xe siècle, au milieu de la lutte engagée, dans l’Angleterre anglo-saxonne, entre l’esprit monacal et le pouvoir royal appuyé par la partie du clergé qui se refusait encore au célibat. À elle seule, cette œuvre de la maturité du poète demanderait une longue analyse ; De nouveau, M. Taylor y revient à son idée favorite. C’est encore l’homme maître de lui, qu’il nous esquisse sous de nouveaux aspects. Il nous le peint dans le comte Athulf, « dont le haut courage et la joyeuse vivacité cachent une veine de prudence, et dont l’imagination grossit peut-être les dangers qu’il affronte cependant ; » il nous le peint dans le comte Leolf, qui rappelle quelque peu la figure de Comnène ; il nous le peint surtout dans Dunstan, I’Hildebrand de l’Angleterre, l’ardent apôtre de la monarchie catholique universelle, et c’est merveille que de voir comment, sous des influences différentes, le héros se métamorphose et s’individualise. Dunstan est peut-être le plus magnifique tour de force de M. Taylor. Pour un protestant, il était difficile de juger le vieux moine sans tomber dans l’erreur que nous commettons tous chaque jour à l’égard des hommes politiques dont les opinions sont contraires aux nôtres. Par cela seul que l’intérêt ou l’orgueil nous semble les avoir poussés vers la cause qu’ils défendent, nous en concluons qu’ils ne peuvent être sincères. Ils ont eu de l’ambition, donc ils n’ont eu que de l’ambition. M. Sharon Turner lui-même, malgré sa scrupuleuse réserve, n’a pu, dans son Histoire des Anglo-Saxons, pénétrer l’énigme d’un caractère aussi impossible de nos jours que celui de Dunstan. « La vraie piété, remarque-t-il, est modeste, amie de l’ombre et ennemie de l’affectations. » Cet axiome a suffi pour l’égarer. Les actes du fougueux bénédictin ne lui paraissaient pas en harmonie avec ce qu’il regardait comme les conséquences de la vraie piété, et il en a instinctivement conclu que ses actes ne lui avaient pas été dictés par la piété. L’art classique ne raisonnait pas autrement. Il croyait que la dévotion l’amour, le patriotisme, etc…, ne pouvaient manquer de produire invariablement les mêmes résultats, et c’est là ce qui nous a valu ses silhouettes à une face, dont chacune représentait une cause capable de créer à elle seule des effets, et des effets toujours identiques. L’auteur d’Edwin s’est montré bien plus philosophe. L’impression qui semble l’avoir dominé, c’est que l’enthousiasme religieux, le génie, la prudence en un mot, toute tendance humaine peut s’allier à tous les instincts et à toutes les idées dont l’homme est susceptible, même à ceux qui sont à nos yeux le plus incompatibles avec elle. De cette découverte est sortie pour lui la puissance d’imaginer des multitudes de caractères variés… Le Dunstan de M. Taylor est ambitieux, et cependant il est plein de foi ; son ambition a