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le succès que d’une certaine manière. De ces hommes, j’en distingue quatre ou cinq parmi les écrivains dramatiques, et trois d’entre eux en particulier me semblent assez bien représenter les principales tendances littéraires qui ont fait scission avec la majorité. Ces trois hommes, ce sont MM. Talfourd, Marston et Henri Taylor.

Avocat distingué, M. Talfourd ne s’est fait poète qu’à ses heures perdues et pour obéir à une passion d’enfance. Son bagage littéraire est peu considérable Il se compose de deux volumes de Souvenirs de vacances, de trois tragédies et de quelques sonnets. Pour lui, la renommée est venue sans se faire attendre bien plus, sans être appelée. En écrivant sa première pièce, il ne s’était point proposé de la faire jouer : il n’avait consulté que ses goûts littéraires. Probablement ce laisser-aller n’a pas peu contribué à donner à son coup d’essai un charme qu’il ne devait pas retrouver par la suite. Ion avait poussé en pleine terre comme les plantes vivaces dont je parlais tout à l’heure. M. Macready comprit la valeur de cette œuvre et décida l’auteur à en permettre la représentation. L’événement ne trompa point l’attente du clairvoyant acteur. Ion fut applaudi, et, entre les pièces modernes, on en citerait peu qui se soient aussi bien maintenues au répertoire.

Quoique ces débuts datent de loin déjà, de 1836, c’est pourtant Ion qu’il faut remonter pour connaître M. Talfourd dans ce qui a fait son succès et ce qui constitue son originalité. Ainsi qu’il nous l’apprend lui-même, la pièce d’Euripide, à laquelle il a emprunté son titre, ne lui a suggéré que la situation principale de son héros, celle d’un enfant trouvé recueilli dans un temple et employé au service du culte. La peste ravage Argos ; ce sont les dieux qui vengent sur la malheureuse ville l’impiété de son roi, et tandis que les vieillards, réfugiés dans le temple d’Apollon, s’entretiennent du courroux céleste, Adraste, au fond de son palais, brave la destinée. Il sait qu’il n’échappera pas à ses coups, mais il veut les attendre au milieu des fêtes. L’oracle cependant a fait connaître son arrêt : Argos ne sera reçue à merci que le jour où la race de ses princes aura été anéantie. Excités par la haine qu’a inspirée la tyrannie d’Adraste, plusieurs jeunes gens jurent de le tuer. « Et moi aussi, je le jure, » s’écrie la douce voix d’un adolescent qui dans l’ombre survient au milieu d’eux. Cet adolescent, c’est Ion, le fils adoptif du grand-prêtre ; Ion, qui ne sait qu’aimer et croire au bien, qui toutes les nuits quittait le temple, jusque-là à l’abri de la contagion, pour aller consoler les mourans, et qui, la veille encore, s’est dévoué à braver la colère d’Adraste pour tenter une dernière fois de l’amener au repentir. Le jeune desservant est fasciné. Dans tout bruit, il entend une voix qui le désigne : il croit reconnaître l’ordre des dieux jusque dans les questions inquiètes de sa bien-aimée, qui a lu ses pensées sur ses traits ; mais, au moment où il s’apprête à obéir à l’injonction du ciel, il apprend qu’Adraste est son père. Tandis qu’il hésite, un des conjurés porte au roi un coup mortel. C’est une autre victime qu’Ion est appelé à immoler. Il est le descendant de la race maudite. Pour qu’Argos soit délivrée du fléau, il faut qu’il périsse, et, devant le peuple rassemblé pour le saluer roi, il s’offre en sacrifice sur l’autel des dieux.

La forme adoptée par le poète n’est point neuve, ou le voit. Ce n’est point là qu’est son originalité. On ne saurait trop dire où elle est, et cependant il y a bien dans l’œuvre entière quelque chose de franc, de non-adultéré, quelque chose