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série de combinaisons jusque-là inconnues. Et cependant, en dépit de la logique, l’Angleterre du XIXe siècle n’a pas fondé d’école théâtrale. L’élément dramatique par excellence, la peinture d’individualités, a pénétré dans le roman, dans la poésie lyrique ; la philosophie elle-même n’a été qu’une mise en scène des phénomènes du sens propre. Le drame, en un mot, a été partout, excepté au théâtre. Que l’on me comprenne bien cependant. Je n’entends pas dire qu’il n’ait point parti de pièces remarquables. Aucun autre pays même n’a peut-être produit autant d’œuvres dramatiques vraiment littéraires, vraiment, empreintes de réflexion, d’étude, de sentiment poétique, j’irais jusqu’à dire d’instinct dramatique. Seulement toutes ces qualités se sont quelque peu perdues dans le vide, et je ne vois pas qu’aucun écrivain ait encore réussi à imaginer ou à faire triompher du moins une forme tragique réellement neuve et viable, une forme qui conciliât la manière de voir et de sentir de notre époque avec les exigences de la scène, qui fût un compromis harmonieux entre les besoins intellectuels des esprits d’élite et les goûts du public : un moyen d’émouvoir la foule en satisfaisant la raison des intelligens.

Cela a lieu d’étonner d’autant plus que, dans ces derniers temps, on a beaucoup parlé du drame légitime (ainsi nomme-t-on en Angleterre le drame sérieux) et des moyens de le faire refleurir. — Suivant le mot du jour, il y a eu une agitation en sa faveur, comme en faveur du free trade. Je n’exagérerai point l’importance de ce mouvement. Nul doute qu’il ait pénétré peu avant, et qu’il ne se soit guère fait sentir au-delà de la petite église des littérateurs. Toujours est-il qu’il a eu le privilège d’exciter des dévouemens obstinés et profonds comme tout ce qui s’empare de l’esprit anglais. La grande poésie dramatique a eu ses patrons influens, ses écrivains voués à son culte pour l’unique amour de lui. Des sociétés shakespeariennes se sont fondées dans le seul but de publier les pièces inédites de l’ancien répertoire, et d’éclairer toutes les questions relatives à ses maîtres. Un auteur d’un talent connus et d’une position respectée, M. Macready, a pris dans des conditions peu favorables la direction de l’un des grands théâtres de Londres. Il a encouragé les auteurs et interprété leurs œuvres. Le parlement lui-même s’est occupé des intérêts, de l’art scénique. Jusqu’en 1840, trois théâtres, Drury-Lane, Covent-Garden et Haymarket, avaient seuls le droit de représenter les pièces en cinq actes et en vers. C’était là un dernier reste de ce système de réglementations qui avait été autrefois la sagesse de l’Europe, le principe de ses corporations comme de ses statuts financiers, et de ses institutions administratives, et religieuses Naturellement tous les avocats du drame légitime se tournèrent contre ce monopole, et leurs réclamations furent écoutées. Le théâtre fut mis au régime de la liberté comme l’agriculture allait bientôt l’être. Depuis lors, neuf ans se sont passés. Qu’est-il résulté de l’émancipation du théâtre, comme de toute cette agitation ? J’ai bien peur qu’elles aient simplement servi à prouver que les causes de la décadence du drame (je parle de la tragédie surtout, et non de la comédie) n’étaient pas exclusivement de celles que pouvaient atteindre des mesures législatives ou des efforts individuels.

Un fait certain, toutefois, c’est que le goût général, en Angleterre, a abandonné l’école de Dryden pour revenir aux poètes du temps d’Élisabeth. La révolution inaugurée par Hazlitt, Coleridge et Charles Lamb a entièrement réussi