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touraient, pas un n’avait tiré l’épée, pas un n’avait brûlé une amorce. M. Levrault regardait tout, écoutait tout d’un air hébété, quand il sentit une main qui s’appuyait sur son épaule : il se retourna brusquement, et se trouva en face de Jolibois. Maître Jolibois était armé jusqu’aux dents. Il avait à sa ceinture deux paires de pistolets d’arçon, un sabre de dragon qui traînait sur le pavé, sur l’épaule un fusil de chasse à deux coups. À voir sa figure barbouillée de poudre, on eût dit un soldat qui depuis une heure déchire la cartouche. Ses armes innocentes n’avaient pas un meurtre à se reprocher ; en guerrier prudent, il avait attendu que tout fût fini pour descendre dans la rue. Il marchait sur la chambre, à la tête d’une vingtaine d’hommes, accoutrés comme lui. En le reconnaissant, M. Levrault demeura frappé d’épouvante.

— Eh bien ! s’écria maître Jolibois, que vous disais-je ? N’avais-je pas raison ? Vous refusiez de me croire ; me croyez-vous maintenant ? J’ai le nez fin ; je flairais depuis long-temps ce qui arrive aujourd’hui. Le peuple triomphe, la monarchie est à bas, l’infâme bourgeoisie est morte. Moi et mes hommes, nous allons à la chambre proclamer la république.

— La république ! balbutia M. Levrault d’une voix étouffée.

— Oui, mon cher, la république ! Vous l’aurez dans une heure.

Et le prenant à part, comme s’il eût craint que sa voix ne fût entendue par sa troupe :

— Vous voilà dans de beaux draps, mon bon ami, continua-t-il ; je ne voudrais pas être dans votre peau. Vous n’avez pas voulu d’un notaire pour gendre ; il vous fallait un marquis. Ce n’était pas assez de vos millions pour vous désigner à la colère, à la justice du peuple. Votre hôtel est un foyer de chouannerie ; ce soir peut-être il ne sera qu’un monceau de cendres. Tenez-vous pour averti, et tirez-vous de là comme vous pourrez.

Là-dessus, Jolibois s’arracha des mains de M. Levrault, qui se cramponnait à ses vètemens, et courut vers la chambre. Il faut renoncer à peindre la consternation, la terreur de M. Levrault. Le seul mot de république aurait suffi pour égarer sa raison, pour glacer son sang dans ses veines. La république n’avait jamais représenté pour lui que l’incendie, le meurtre et le pillage. Qu’on ajoute à ce sujet d’effroi ses richesses, son gendre, ses relations avec le parti légitimiste. Éperdu, désespéré comme un homme qui se noie, il croyait entendre murmurer son nom, et lisait sur tous les visages la menace et la vengeance. Il lui semblait que le chiffre de sa fortune et le titre de son gendre étaient écrits sur son chapeau. Le malheureux n’osait pas rentrer chez lui, de peur d’être suivi. Il errait çà et là, pâle, tremblant, les yeux hagards, cherchant par quel moyen il pourrait mettre son hôtel à