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Cependant les jours, les semaines s’écoulaient ; Gaston ne parlait pas d’aller aux Tuileries. En homme bien élevé, en bourgeois qui sait vivre et connaît toute la valeur des ménagemens dans les transactions humaines, M. Levrault n’avait jamais posé la question à son gendre en termes formels ; rassuré pleinement par le langage modéré de Gaston, par ses opinions libérales, par la sympathie qu’il montrait en toute occasion pour les jeunes princes de la famille régnante, M. Levrault n’avait pas douté un seul instant que le jeune marquis ne se prêtât docilement à tous ses projets. Gaston n’avait rien promis, mais la marquise avait engagé sa parole, et le fils, en accomplissant la promesse de sa mère, ne réaliserait que le vœu secret de sa conscience ; son intention avait toujours été de se rallier : à cet égard, le grand manufacturier n’avait aucune inquiétude. Chaque fois que, devant son gendre, il avait fait allusion à ses rêves, à ses espérances, Gaston, qui n’était pas dans le secret de l’ambition de son beau-père, avait répondu en souriant, et M. Levrault avait pris son sourire pour un acquiescement. Le digne homme était plein de sécurité ; il aurait eu dans sa poche son double brevet de comte et de pair, qu’il n’eût pas été plus tranquille. Un jour vint pourtant où cette sécurité fut ébranlée.

Enhardie par l’humilité du maître de la maison, la marquise, qui jusque-là n’avait jamais parlé de la nouvelle dynastie qu’avec déférence, prenait maintenant un ton moqueur, un accent dédaigneux, et plongeait M. Levrault dans une stupeur profonde. Cette femme, naguère si bienveillante, d’un caractère si affable et si conciliant, qui acceptait le présent sans colère, qui regrettait le passé sans amertume, raillait maintenant sans pitié la cour et les institutions nouvelles. Le salon où devait se consommer l’union de la noblesse et de la bourgeoisie n’entendait que des conversations boudeuses, mêlées de cruelles épigrammes. Après l’épigramme venait l’espérance hautement avouée. On ne s’entretenait plus du passé comme d’un édifice lézardé depuis long-temps, emporté sans retour par le flot de la révolution, mais comme d’un palais dont les pierres, un moment dispersées, allaient se réunir et reprendre leur place. Le présent allait s’effacer comme un songe, le trône de saint Louis allait se relever. À ces hardis propos, M. Levrault tressaillait, dressait l’oreille comme un mulet qui flaire l’orage, et se demandait avec effroi s’il avait bien entendu, s’il était bien chez lui, s’il n’était pas dupe de quelque hallucination. Plus d’une fois, il avait été tenté d’imposer silence à ces hôtes malencontreux, à ces parleurs impertinens ; la prudence avait toujours enchaîné l’indignation sur ses lèvres. Les contredire, leur fermer sa porte, n’était-ce pas compromettre, ruiner en un jour le fruit de sa longanimité ? Il se contenait donc ; mais, tout en se contenant, il se sentait dévoré de défiance. La marquise, qui, au château de La Rochelandier,