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Rochelandier. S’il ne se fût agi que d’elle, ce n’eût pas été la peine de se mettre en frais. On connaissait la modestie et la simplicité de ses goûts. L’ostentation n’était pas son défaut. Elle avait de tout temps recherché l’ombre et le silence, comme d’autres l’éclat et le bruit. Elle était femme à vivre heureuse sous un toit de chaume ; mais, pour son aimable ami, elle ne pensait pas pouvoir trop exiger. Elle avait pour lui toutes les vanités, toutes les prétentions. Pour embellir la demeure d’un homme si éminent, réservé à de si hautes destinées, elle estimait qu’il n’y avait rien d’assez somptueux ni d’assez magnifique. Elle voulait que la cage fût digne de l’oiseau, le cadre du portrait, et regrettait parfois de n’avoir pas à sa disposition la baguette des fées, la lampe d’Aladin. À chacun de ces beaux discours, le grand fabricant ouvrait un large bec et laissait tomber beaucoup plus qu’un fromage. La marquise avait présidé elle-même à la décoration du fameux salon où devait se consommer l’union de la noblesse et de la bourgeoisie. Les gens de la Trélade, à galons pistache et à culotte de peluche jaune, avaient été remplacés par des valets vêtus de noir ; M. Levrault était toujours tenté de leur parler le chapeau à la main. Son cocher était poudré à blanc et coiffé d’un tricorne ; son chasseur avait six pieds de haut. Par une de ces attentions délicates que la marquise ne se lassait pas de prodiguer à son aimable ami, toute la vaisselle plate, toute l’argenterie de l’hôtel étaient marquées aux armes des La Rochelandier, qui se retrouvaient jusque sur les couteaux et les porcelaines. Le coupé même de M. Levrault était timbré d’une couronne de marquis. M. Levrault n’était pas insensible à des procédés si galans. La marquise le recevait à toute heure de la journée, sortait avec lui en voiture pour aller au bois, plus souvent encore pour visiter les magasins. Elle avait renoué d’anciennes amitiés, adressé çà et là quelques invitations auxquelles on s’était empressé de répondre ; déjà les salons de l’hôtel Levrault commençaient à se peupler de figures aristocratiques. L’œuvre de conciliation était en bonne voie ; l’hiver s’annonçait sous de favorables auspices. Quelques mois encore, et ce n’était plus seulement le marquis, son gendre, c’était le faubourg Saint-Germain en masse que l’ancien marchand de drap ralliait du même coup à la dynastie de 1830 ; encore quelques mois, et la légitimité ne comptait plus un seul partisan sur la rive gauche de la Seine. Qui serait bien attrapé ? M. de Chambord dans son castel allemand.

Pendant que la marquise et son aimable ami s’abandonnaient au charme de leur intimité, les deux jeunes époux vivaient, de leur côté, en parfaite intelligence. Les exigences de la passion, les inquiétudes de l’amour, les bouderies, les réconciliations, aucun de ces adorables petits drames qui se jouent entre deux baisers aux douces clartés de la lune de miel ne troublait l’union de leurs ames. Rien n’altérait la