Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/814

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à poindre. Comme une fiancée qui sent sa fin prochaine et veut mourir dans ses habits de fête, la nature, près de se voiler, se parait de ses plus riches couleurs et répondait par un dernier sourire aux derniers adieux du soleil. Pour de jeunes amans, il est doux alors d’aller à l’aventure, appuyés l’un sur l’autre, le long des coteaux jaunissans, dans le creux des vallées brumeuses, et de soulever en marchant les feuilles desséchées qui jonchent déjà le chemin. Dans l’ivresse même de la passion, il y a toujours quelque chose de triste, qui s’harmonise avec la mélancolie de l’automne ; mais tout cela n’importait guère à Laure, à Gaston. Que leur importaient en effet le silence des champs, le mystère des bois, la mousse au pied des chênes ? Quel attrait les eût retenus au fond de ces campagnes ? Qu’avaient-ils à se dire ? Quels secrets auraient-ils pu confier aux divinités de ces agrestes solitudes ? Ce n’étaient pas deux bergers d’Arcadie, deux ramiers roucoulans. Depuis près de trois ans qu’il se mourait d’ennui sous le toit de ses pères, Gaston avait eu tout le temps de se blaser sur la poésie de l’idylle ; sa pensée n’habitait pas les bocages ou le bord des ruisseaux. De son côté, Laure n’était pas venue en Bretagne pour respirer l’air embaumé des prairies, voir les feuilles jaunir, tremper ses cheveux dans les brouillards du soir ou du matin. Enfin, ils ne s’abusaient pas sur la valeur des sentimens qui les avaient poussés l’un vers l’autre. Gaston savait très bien ce que Laure épousait en lui ; Laure n’ignorait pas ce que Gaston épousait en elle. On se rappelle l’attitude froide et réservée qu’avait prise le jeune La Rochelandier vis-à-vis de Melle Levrault, dès leur première entrevue. Admis à faire sa cour, Gaston ne s’était montré ni plus empressé ni plus tendre ; il avait veillé scrupuleusement sur tous les mouvemens de son cœur. Il n’aimait pas sa fiancée ; l’eût-il aimée, l’orgueil lui aurait interdit d’en rien laisser paraître, la crainte de passer pour un courtisan de l’opulence aurait paralysé sa tendresse et mis un triple sceau sur ses lèvres. Quant à Laure, l’ami Gaspard l’avait guérie radicalement de ses velléités romanesques. Gaston était marquis ; elle se tenait pour satisfaite, et ne lui demandait rien de plus. Ainsi, pour ces deux enfans, le mariage n’était qu’une affaire, disons le mot, un échange, un troc ; les sacs et les parchemins avaient fait de part et d’autre toutes les avances, tous les frais de coquetterie et de séduction. Dieu juste ! et ils avaient vingt ans ! Vingt ans, et la beauté, et la grâce en partage ! Jeunes, charmans tous deux, on pouvait espérer qu’une fois unis, ils arriveraient, par une pente irrésistible, à rencontrer l’amour qu’ils ne cherchaient pas. Peut-être l’auraient-ils rencontré sous les ombrages de la Trélade ; mais déjà Gaston était impatient de réaliser les bénéfices de sa mésalliance, et Laure, échappée de sa chrysalide, dépouillée de ce nom de Levrault, qui avait enveloppé sa jeunesse comme un linceul, n’aspirait qu’à promener dans le monde sa brillante métamor-