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encore des dalles percées de trous, était comme une grande cassolette où des sultanes se parfumaient rien qu’en se promenant. C’était en même temps un observatoire d’où l’on domine tout le palais et toute la plaine de Grenade. Cette vue est magnifique : sous vos pieds, la ville ; à gauche, la chaîne pittoresque de la Sierra-Nevada, couverte de neige ; à droite, une plaine immense et silencieuse, gouachée par le soleil couchant de larges reflets rouges ; un beau ciel, un climat admirable, un palais sans pareil ! On comprend aisément, en vérité, que Boabdil n’ait pu retenir un soupir en jetant un dernier regard sur son poétique royaume. Sans songer au fils de Mulei-Hassem, une infinité de voyageurs se sont évertués à écrire leurs noms sur les murs du Tocador, comme dans la grotte de Gibraltar. Un nom surtout est gravé dans le marbre d’une croisée avec une perfection qui atteste « qu’un monsieur très sage s’y est appliqué » pendant plusieurs semaines. C’est celui de M. B…, officier du 11e de ligne. Brave homme, vous étiez, un vrai capitaine d’infanterie, né pour l’être, et je gage que vous n’êtes pas allé plus loin. Les militaires aiment à gratter. Le gouverneur de Grenade s’était-il avisé, il y a trois ans, de trouver vilaine la teinte rose magnifique que les siècles ont respectueusement déposée sur les murs de l’Alhambra ? Craignant que cette incomparable dorure, tombée du ciel comme pour consacrer la beauté du palais des Mores, ne fît accuser son administration de négligence, le bonhomme s’est mis à lutter avec le soleil. Il a fait gratter ce que l’astre dorait. Plusieurs colonnettes de la cour des Lions ont été rendues à leur couleur primitive, et je ne sais s’il a continué.

Il est bon de rappeler que l’art doit ce qui reste de l’Alhambra au maréchal Sébastiani, qui, pendant qu’il commandait à Grenade, a pieusement relevé le palais de Boabdil, soutenu ses délicates colonnes ; cimenté ses toits, pansé ses blessure. La ville elle-même doit au maréchal et à l’occupation française son théâtre, le pont du Jenil, plusieurs places, plusieurs belles rues. On a beau dire, on a beau faire, c’est un peuple intelligent et charrnant, celui dont les armées occupent ainsi leurs loisirs. Le goût français continuera de veiller sur l’Alhambra : le palais des Mores a maintenant un protecteur dont les artistes ne récuseront pas l’intelligence, M. le duc de Montpensier, qui, si je suis bien renseigné, le surveille et veut le consolider.

Quant au Généralife, petite maison de plaisance située à mi-côte de l’une des collines qui dominent l’Alhambra, je n’en voudrais pas faire, je l’avoue, mon séjour habituel. Hors la vue, qui est fort belle, cette bastide n’a rien qui m’émerveille, et je ne sais vraiment pourquoi on lui a fait une réputation si grande. Dans le jardin, deux beaux lauriers-roses ; dans la maison, un mauvais petit salon blanchi à la chaux, orné de quelques méchans portraits de famille et de l’arbre généalogique