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cette Espagne dégénérée dont je parle, et qui d’ailleurs a pris si fièrement sa revanche. N’avons-nous pas vu s’accomplir, chez nous, quelque chose de pareil à ces grotesques pronunciamientos ? N’avons-nous pas appris de la bouche même d’un des tristes héros de notre temps que les révolutions ne disent jamais le mot pour lequel elles se font ? Ne savons-nous pas à nos dépens ce que vive la réforme veut dire, et qu’il y a un calcul commercial dans les émeutes de France aussi bien que dans les pronunciamientos de la Péninsule ?

J’arrivai précisément à Malaga pour être témoin d’une de ces insurrections périodiques. J’avais quitté la veille au soir Gibraltar, non sans quelque regret, car (n’en déplaise aux ames poétiques) j’y vivais heureux d’un bonheur uniquement dû à l’excellent vin de Bordeaux et aux rôtis anglais que me fournissait Club-House. Je suis bien honteux d’être aussi matériel, mais j’avoue qu’une excellente auberge anglaise constitue, au milieu d’un voyage en Espagne, un agréable intermède, qui prend place à merveille, même entre les danseuses de Séville et les merveilles de l’Alhambra.

Nous arrivâmes à Malaga au point du jour. Cette ville au doux vin n’a rien de curieux : à droite, une petite jetée, un petit phare ; devant nous, une petite ville blanche ; dans le port, une douzaine de bricks marchands : c’est tout ce qu’on y peut voir. Je renonçais à trouver le moindre charme à ce panorama, quand on vint m’apprendre que la ville était en état de siège. Cette nouvelle ranima ma curiosité. Une tentative de pronunciamiento avait échoué ; on s’était battu sur le quai, on avait arrêté beaucoup de monde. La sourde agitation qui couvait dans la ville était à toute heure excitée par les révélations de l’un des conjurés saisis. Sur sa dénonciation, on avait arrêté la veille et renvoyé le matin même à Grenade, pour y être jugés par l’autorité supérieure, une trentaine des négocians les plus considérables de la ville. Enfin, on se disposait à juger militairement et probablement à fusiller sans merci sept inculpés, dont deux étaient des sergens de la garnison. Il va sans dire que, parmi eux, n’étaient point les chefs véritables ; là, comme ailleurs, les instigateurs étaient restés dans l’ombre et les petits allaient payer pour les grands. Lorsque je débarquai, les tambours battaient de toutes parts ; on renforçait les postes, on déployait un grand appareil de guerre, on fermait les boutiques, on se réfugiait dans les maisons ; ce fut au milieu de ce mouvement, de ce tapage, de ces inquiétudes, que je vis venir à moi, sur le quai, un employé du consulat de France, qui me remit une lettre de ma mère. Je n’oublierai jamais l’impression que me causa, au milieu de ces scènes émouvantes, dans ce pays inconnu, la lecture de cette lettre qui racontait les joies monotones de la campagne et d’un foyer paisible. J’appris du jeune homme qui me l’apportait que l’arrivée du vapeur français qui nous amenait allait tirer le consul d’un grand embarras. Un des chefs