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toutes récentes, on lit parfois des dates vieilles d’un siècle. Ces voyageurs sont morts depuis long-temps, et cette ligne si périssable, que vous tracez vous-même en courant, sera moins éphémère que vous ; on la lira long-temps encore après que vous ne serez plus. La Gruta Nueva, ou de Saint-Martin, découverte il y a quinze ans par un soldat déserteur, qui fut gracié à cause de sa trouvaille, s’ouvre en face de la côte d’Afrique. Il faut avoir le jarret montagnard et l’œil fait aux fascinations des abîmes pour s’y rendre à quatre pattes à travers les rochers, et le trou qu’on aperçoit dédommage peu de tant de fatigues. Mon excursion toutefois, outre la vue magnifique qu’elle me permit d’embrasser, ne fut pas sans profit ; elle me procura le plaisir de voir des singes sauvages, les singes de Gibraltar, dont beaucoup de voyageurs ont nié l’existence. Je déclare, moi, que les singes sont parfaitement naturalisés sur le rocher, car j’en ai compté plus de vingt à quelques pas de moi, et il en existe, dit-on, des centaines. Ceux que j’ai vus et poursuivis étaient grands comme des enfans de huit ans ; ils marchaient debout, les bras croisés, et me jetaient de ces regards humains et tristes qui m’embarrassent, pour ma part, un peu. C’est à peine, si j’ose l’avouer, mais s’il m’était jamais arrivé, comme à beaucoup de voyageurs, de manger un singe, je ne me croirais plus en droit de mal parler des anthropophages. Il y en avait aussi de fort jeunes, gros à peine comme des marmots d’un mois, qui se trémoussaient au soleil. À notre approche, les mères les appelèrent d’une voix grêle, par leurs noms de singes, puis elles les prirent par la main, les conduisant comme des enfans à la promenade, et enfin, nous voyant avancer toujours, elles les chargèrent sur leurs épaules et disparurent derrière les rochers en faisant, les gambades les plus extraordinaires. Ces animaux vivent de dattes, fruits des dattiers nains qui couvrent la cime de la montagne. Quelquefois aussi ils font des descentes dans les jardins d’Europa, dont ils dévorent les figues et les légumes. Il est expressément défendu, à Gibraltar, de tuer ces pauvres bêtes, ce qui n’empêche pas les habitans de leur tendre une sorte de piége à l’aide duquel ils en prennent fort souvent. Ce piége, d’une simplicité risible, fait heureusement douter de l’intelligence de cette, nation, qui ne parle pas, disent les nègres, pour ne point travailler. On vide une grosse citrouille par un trou juste assez grand pour donner passage à une petite pomme qu’on laisse tomber dans l’intérieur. Voilà tout l’appareil. Cette citrouille, on la laisse dans le jardin. Un singe vient, il regarde, il examine, il se balance sur un arbre, se pend à une branche par les pieds, puis par ses mains noires, et, quand il a bien considéré la citrouille, il s’approche, enfonce son bras dans le trou et saisit la pomme. Alors il fait une grimace agréable, un de ces sourires de singe que vous savez, et tire à lui ; mais la pomme, qui est tout juste entrée par le trou calculé sur son diamètre, ne peut sortir quand elle est augmentée de toute l’é-