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y sont cosmopolites, la population n’a d’espagnol que le costume ; la ville elle-même, si blanche, si propre, si régulière, n’a point l’aspect caractéristique des villes andalouses. Les ports de mer gardent bien rarement la couleur locale, et, sous les mêmes latitudes, tous se ressemblent. Hors la position de la ville, on pourrait, sans trop d’exagération, comparer Cadix à Gênes, Barcelone à Livourne et Malaga à Messine. C’est partout le même mouvement, la même existence et la même population. Pour ne pas mécontenter la marine française, je conviendrai cependant que les femmes de Cadix doivent faire donner la préférence à cette dernière ville : elles sont charmantes ; il n’est pas nécessaire d’avoir traversé l’Atlantique et rêvé sur le banc de quart, pendant une longue traversée, pour subir leur séduction. J’ai vu, pour mon compte, beaucoup plus de jolies figures à Cadix qu’à Séville, et je suis tenté de croire qu’en aucun lieu d’Europe le diapason de la beauté n’est aussi élevé. Ceci demande une explication. Il est extrêmement difficile de prononcer à l’égard de la beauté des femmes de tout un pays un jugement sans appel, car c’est la comparaison qui permet d’apprécier, et il faut toujours un point de repère. Or, ce point de comparaison qui vous sert ordinairement de niveau se déplace quand vous quittez les lieux où vous vivez ; il s’abaisse ou se hausse à votre insu, et vos appréciations, quoique sincères toujours, peuvent être souvent mensongères. D’où vient qu’une femme qui vous semblait très belle en province vous paraît très médiocre à Paris ? C’est que les points de comparaison ont changé ; la femme est la même, c’est vous qui voyez autrement. J’ai observé que des Anglaises que je trouvais admirables à Paris étaient moins remarquables à Londres : d’où je conclus à regret que le diapason de la beauté, car je ne trouve pas de mot plus expressif, est plus élevé en Angleterre, et il est malheureusement certain que des Andalouses d’une beauté très ordinaire à Cadix ont à Paris un éclat tout particulier ; vous en tirerez la conclusion qu’il vous plaira, car il me déplaît d’être forcément amené par mes propres observations à constater le contraire de ce que j’ai dit.

Je reviens à la ville, et je commence par faire la déclaration que voici : c’est que les voyageurs ont généralement le tort d’être des narrateurs trop fidèles. On leur adresse ordinairement le reproche contraire : on se trompe. Que les voyageurs mentent, je n’en disconviens pas ; mais pourquoi mentent-ils ? Parce qu’ils veulent rendre un compte trop exact de leur itinéraire, ville par ville, jour par jour ; parce qu’on les force à le faire, sous peine de mettre en doute leur voyage. Or, comme dans la course la plus accidentée, la plus aventureuse même, il y a toujours des lacunes, des heures d’ennui, des jours sans intérêt, il faut absolument inventer pour remplir ces vides, à moins toutefois qu’on n’ait le courage de les déclarer tels. C’est ce parti que je veux