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toute particulière. Un certain agencement de syllabes qui plaît à l’oreille leur donne sur notre imagination une influence inexplicable. Il y a certains noms de rivières, tels que Guadalquivir, Eurotas, qui renferment plus d’enchantement que ces rivières n’en comportent, et si je n’en dis pas autant de certains noms de femmes, c’est de la pure galanterie. Si n’était son nom charmant, le Guadalquivir ne serait pas plus célèbre que la Rille en Normandie ou quelque petit bras du Rhône dans la Camargue ; qu’est-ce en effet que le Guadalquivir ? Une rivière bourbeuse, large à peine comme l’Yonne à Montereau ; ses rives sont plates, jaunes, monotones, marécageuses ; des troupeaux de vaches errent tristement dans ces steppes qui rappellent, moins la grandeur les bords valaques ou bulgares, du Bas-Danube. Mais ce nom de Guadalquivir l’a sauvée, et j’aurai beau dire ; et tous les voyageurs consciencieux auront beau répéter que cette rivière est un abominable canal, triste et jaune : le Guadalquivir restera dans l’imagination de tous un fleuve poétique et charmant. Guadalquivir ! rien qu’à prononcer ce nom, on croit voir passer des gondoles.


IV.

Je ne vis rien de pareil cependant. Le Rapido nous entraîna entre ses deux rives monotones qui allaient toujours s’élargissant ; bientôt la rivière, envahie par la mer, devint un large fleuve ; puis l’océan s’ouvrit devant nous, et Cadix nous appartit comme un îlot d’ivoire posé sur cette grande nappe bleue. Cadix, à mon avis, n’est pas une ville espagnole, et cependant Cadix, qui est le paradis des marins et qui est la ville la plus visitée de la Péninsule, a fait la réputation de l’Espagne. On a beau dire, les voyageurs ressemblent tous un peu à ce monsieur qui, rencontrant sur sa route une femme rousse, écrivait : « Dans ce pays-ci, toutes les femmes sont rousses. » Comme on ne peut pas tout voir en voyageant et qu’au retour il faut cependant tout raconter, on prend volontiers la partie pour le tout, et l’on juge de l’ensemble par un détail. Un marin, par exemple, relâché à Cadix ; à peine débarqué, il rencontre à la promenade une société de femmes, Il est vrai, très jolies, mais composées tout exprès pour faire fête aux états-majors des navires ; trois jours durant, il s’ébat joyeusement en compagnie de ces pétillantes Espagnoles qui gardent toujours, quelles qu’elles soient, une sorte de dignité féminine et de désintéressement fort singuliers, Puis le navire met à la voile, et le marin enchanté, croyant avoir compris les mœurs péninsulaires, part en criant : « Vive l’Espagne ! vivent les Andalouses ! » Il n’a rien vu cependant de véritablement espagnol ; Cadix n’a point le caractère du pays ; c’est une ville modifiée successivement, et dans tous les sens, par le frottement des étrangers ; les mœurs