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ville, sous peine d’être aplati le plus fièrement du monde, de toute interprétation de ce genre. Malheureusement nos compatriotes, qui ont l’habitude de se croire fort agréables, ne se font guère faute de pareilles balourdises. En Espagne, l’amour est une chose sérieuse ; une Andalouse ne s’amourache pas à la volée d’un étranger qu’elle ne connaît point ; elle laisse ces façons à la pudique Allemagne. En vous ouvrant sa maison, elle est affable sans arrière-pensée, elle exerce l’hospitalité antique, elle suit le conseil de cette amabilité primitive, sans méfiance et sans recherche, que les intrigans et les parasites ont tuée dans tous les autres pays d’Europe. Vous pouvez accepter son invitation sans façon ; vous serez reçu cordialement, présenté au mari, qui vous accueillera de même, aux amis que vous trouverez complaisans, dévoués en toute occasion, et jamais obséquieux. Vous serez admis, sans autre présentation, dans l’intimité du patio ; vous y pourrez venir à toute heure ; on vous grondera bientôt, si vous n’y passez au moins une bonne partie de la journée ; chacun vous nommera, don Fernando ou don Alejo, suivant que vous vous appelez Fernand ou Alexis. Le soir, vous accompagnerez à la promenade ou au théâtre les dames de la maison ; en un mot, vous ferez partie de la famille, mais vous n’y mangerez pas. Les Espagnols ne sont pas riches ; ils vivent sobrement ; ils savent que l’huile rance n’est pas du goût de tout le monde ; ils craignent de mal vous traiter, et vous ne sauriez faire rien de plus aimable que de refuser chaque jour le dîner qui vous sera chaque soir offert. Avec du temps et des soins, vous serez même admis à faire votre cour à la fille de la maison ; si elle vous agrée, vous deviendrez son novio, c’est-à-dire son fiancé, beaucoup plus que son amant. Ce rôle vous donnera droit à quelques privautés légères ; vous serez son cavaliere servente, vous porterez son châle à la promenade, vous ferez ses commissions dans la ville, vous baiserez sa main, son front peut-être ou même ses joues ; vous passerez le jour entier auprès d’elle, vous viendrez la nuit causer encore à sa croisée, dont les grilles et les jalousies serviront de chaperons à ces périlleux tête-à-tête ; mais vous vous en tiendrez là, sous peine, je le répète, d’être remis à votre place de la façon la plus absolue et avec une inconcevable autorité. Le mariage est le point de mire des Andalouses ; elles savent si merveilleusement concilier les exigences du but avec la difficulté des moyens, qu’elles en remontreraient aux Anglaises sur ce point. Quant aux hommes, quels qu’ils soient et qui que vous soyez, ils vous traiteront sur le pied d’une égalité parfaite, avec une familiarité qui n’est jamais impertinente et jamais servile. Ils ont un sentiment profond de la dignité humaine : le plus pauvre diable prendra place sans scrupule à côté du plus grand seigneur, lui offrira indifféremment ou lui empruntera un cigare, et sans se prévaloir, sans s’humilier, il aura toujours l’air d’être pénétré