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était d’autant plus frappant en elle qu’il était moins attendu. Voudrez-vous croire maintenant que ces jeunes filles de Séville qui dansent devant vous, pour quelques douros, la lole, la gitana et autres pas aussi abandonnés, sont des vertus à seize quartiers qui résistent aux offres les plus séduisantes ? Rien n’est plus vrai pourtant : les exemples abondent, et cette anomalie n’est pas un des traits les moins curieux du caractère féminin en Espagne. Au moment même où je parcourais l’Andalousie, la plus célèbre danseuse de Séville se trouvait malheureusement en Angleterre. Un capitaine de la marine anglaise s’était si bien épris de sa beauté, qu’après avoir inutilement déposé des monceaux d’or sa ses pieds, il lui avait offert son nom avec sa main. La jeune fille, accompagnée de sa mère, avait enfin consenti à le suivre à Londres ; mais là un obstacle invincible s’était élevé : la danseuse de la catholique Espagne refusait d’épouser un protestant, et je ne sais ce qui en est advenu. Je me bornai, quant à moi, à rendre, avec un complet désintéressement, le mouchoir de Carmen. Les boléros, les fandangos se prolongèrent jusqu’à une heure avancée de la nuit, et je me dirigeai, fort satisfait, vers la fonda de la Union.

Je dus, pour arriver à la fonda, traverser la petite promenade qu’on nomme la Alameda del Duque. Cette promenade, plantée d’acacias, devient, à onze heures du soir, le rendez-vous de tous les fumeurs de cigarettes et de toutes les señoras qui éprouvent, à l’heure de la fraîcheur, le besoin de respirer en plein air et de quitter le patio où elles ont passé silencieusement tout le jour. La foule était épaisse ce soir-là ; les mantilles noires et blanches se croisaient par centaines, et je dois rendre aux Sévillanes cette justice, que pas un seul chapeau ne se mêlait à leurs élégantes coiffures. Le seul reproche qui doive être adressé aux femmes de Séville, c’est qu’elles renoncent au noir, et que les robes de satin uni sont trop souvent remplacées par des jupons à ramages qui sont de véritab1es contre-sens. Et maintenant, comment oserai-je vous décrire ces promeneuses elles-mêmes ? Pour rester vrai, je suis forcé de lutter contre l’enthousiasme traditionnel que les beautés de Séville ont inspiré à tous les voyageurs. Ce que je tente est dangereux ; mais je me risque et je déclare que les promeneuses de la Alameda del Duque me parurent médiocrement jolies. Je ne sais pourquoi l’on se figure en général que toutes les Espagnoles sont coulées dans le même moule ; il n’est pas de pays au monde où le type de la beauté change plus souvent. Quand on arrivé à Madrid, on est d’abord surpris du teint fortement basané de presque toutes les femmes que l’on rencontre ; on trouve aux Antilles une infinité de filles de couleur qui sont beaucoup moins foncés. Américaines par le teint, les Madrilègnes sont Africaines par le renard et par la coupe du visage. Un front charmant, des yeux superbes, des dents éclatantes, ce devrait être assez pour composer une