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jours Quasimodo ou la Esmeralda, Gonzalve de Cordoue ou des scènes de la Tour de Nesle, ornent seules les murs, ces murs du moins sont d’une blancheur de neige, et cette propreté me dédommage tout-à-fait, quant à moi, de ne pas voir, comme en France, un papier à dessin renaissance taché par le vin et les mouches, et sur la cheminée, vis-à-vis d’une grace enveloppée de mousseline, une pendule de carton-pierre où, sous un globe de verre, un galant troubadour en or chante des virelais à une châtelaine d’argent. La table, en Espagne, est grossière, mais luisante, le pavé lavé chaque jour, la nappe d’une propreté au-dessus du soupçon ; et si les mets andalous ne conviennent pas toujours au goût raffiné des Parisiens, ils sont du moins servis avec le plus grand soin. Le repas est le même à chaque station, sans variété aucune, depuis Madrid jusqu’à Séville. On sert, en premier lieu, une soupe au pain et un immense plat rempli d’oeufs à la coque, dont chacun casse trois ou quatre dans son assiette. Ce condiment, qu’on nomme sopa de huevos, est fort agréable. Un puchero, plat composé de tranches de bœuf, de morceaux de lard, de bouts de saucisses épicées, de haricots verts mal égrénés, de pois chiches très durs, de grains de raisin, de pimens incendiaires et de tous les ingrédiens quelconques que la cuisinière a trouvés sous sa main dans les deux heures qui ont précédé le repas, un puchero succède à la soupe et apparaît escorté d’un plat d’œufs frits sur des tomates sautées, et d’une friture de cervelles. Puis se présentent des poulets étiques, d’abord bouillis, et roussis après dans de l’huile rance : c’est le rôti espagnol. Une jarre de riz au lait de chèvre saupoudré d’une couche épaisse de cannelle, des oranges, des cerises et des noisettes, de l’eau très fraîche, du vin très noir et très amer, complètent ce repas, qui, sans être exquis, vaut bien assurément les dîners d’auberge en France. Je ne parle que pour mémoire d’une salade à l’eau, mélangée d’huile de lampe et de vinaigre anodin, parce qu’il faut à tout étranger trois ans pour apprendre à l’avaler ; au bout de ce terme, on comprend, assure-t-on, le mérite de ce mélange que les Espagnols adorent. Nous allâmes, après déjeuner, nous promener par la ville. C’était le 24 juin, jour de la Saint-Jean, grande fête en Espagne. Une foule nombreuse d’hommes en charmans costumes se pressait dans les rues inondées de soleil et sur la place où l’on faisait les apprêts d’une course de novillos. Ces paysans portaient tous, avec beaucoup de grace, l’élégant habit andalou, chapeau calañes avec des houppes de laine, veste ronde en drap ou en velours relevée d’agrémens de toutes couleurs aux manches et au collet, un pot de fleurs brodé dans le dos, col rabattu, ceinture de soie rouge ou jaune, culotte bleue collante avec des boutons d’argent, guêtres de cuir jaune merveilleusement piquées, ouvertes au gras de la jambe et laissant voir le bas blanc bien tiré, souliers de cuir retourné, éperons à grandes