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terne et l’insupportable monotonie des plaines poudreuses de la Manche ; elle se couvre des myrtes sauvages et de plantations d’oliviers ; lauriers-roses en fleurs bordent les lits à demi desséchés de quelques ruisseaux ; enfin des haies de magnifiques aloès, d’une vigueur tropicale, croissent des deux côtés de la route, la chaleur augmente, le soleil s’enflamme, et le ciel se revêt d’une nuance d’indigo plus pure et plus foncée. Bientôt apparaissent, à votre gauche, dans le lointain, de belles montagnes tachées de neige, sur lesquelles le soleil répand des teintes magnifiques. Je crains pourtant, en écrivant ces lignes, que ces noms, de lauriers-roses, de myrtes, d’aloès, dont je ne puis amoindrir l’effet, ne donnent le change à votre imagination et ne vous inspirent l’idée de merveilles trop grandes. Cette première apparition de l’Andalousie est jolie, vous ai-je dit, rien de plus, rien de moins, n’allez pas conclure de ma description qu’elle est magique : la beauté de ce paysage est relative. Pour la bien apprécier, il faut avoir parcouru durant de longues et fatigantes journées les steppes désolées des deux Castilles et de la Manche. Pourquoi une oasis est-elle si fraîche et si charmante toujours, que ce nom même est agréable à prononcer ? Parce que le désert l’entoure. Transportez dans une vallée de Normandie la plus fraîche oasis de l’Orient, elle se changera en un bosquet rôti qui fera tache dans le paysage. J’en veux dire autant de la campagne andalouse, au risque de me brouiller avec tous mes devanciers. Le contraste ne lui nuit pas, et, sans vouloir lui faire tort, je déclare, en mon ame et conscience, qu’il est heureux pour sa gaieté qu’elle soit entourée si tristement.

La Carolina, grand village sans caractère particulier, fut la première station andalouse où s’arrêta la diligence. Elle entra tout d’une traite dans une vaste remise, sorte de cour intérieure qui sert à la fois, dans les posadas espagnoles, de hangar, d’écurie, de passage et de vestibule. Toutes les portes et toutes les fenêtres de la maison s’ouvrent sous ce carré à demi couvert et passablement à l’abri du soleil. Nous sautâmes en terre ferme, blancs, muets, noirs et oiseaux. Aussitôt quatre ou cinq jeunes filles bien découplées, têtes nues, peignées et coiffées avec un art infini, une rose à l’oreille, un grand peigne au chignon, avec dents blanches, yeux étincelans et le teint assorti, s’empressèrent autour de nous, toutes pareilles aux joyeuses servantes qui accueillaient don Quichotte et son écuyer. Elles nous conduisirent au comedor, où le déjeuner nous attendait. Ici je dois rendre justice à la Péninsule. La saleté espagnole, qui est devenue proverbiale, est un mensonge infâme. Les posadas, en général, et celles de l’Andalousie en particulier, sont de grands bâtimens très nus, très peu décorés, mais d’une propreté remarquable. Si l’on ne voit pas de rideaux aux fenêtres, si des lithographies colorées valant six sous, venant de Paris, et représentant presque tou-