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il ne se soucie pas de l’amour des ouvriers, il ne leur demande qu’une laborieuse obéissance. Toute résistance, au lieu de l’abattre, redouble en lui la passion de vaincre. Les machines qu’il attend sont l’ancre de salut de sa fortune. Il tressaille ; il a enfin entendu le roulement des charrettes sur la route… Le charrettes sont vides, elles ont été attaquées par un rassemblement d’ouvriers ; les machines sont brisées. Moore reste froid ; son malheur n’amène qu’un pli ironique sur ses lèvres. Il ne sera pas vaincu. D’abord, il saisira et livrera à la justice les chefs des destructeurs ; ensuite, il épuisera ses dernières ressources pour acheter des machines nouvelles.

Il y a une suave et secrète douceur à laquelle ne résistent pas les hommes les plus endurcis à la vie : c’est, au moment même où ils ont à lutter avec les difficultés les plus rebelles, où tout est combat dans leur cœur et dans leur cerveau, de se sentir entouré, caressé, admiré, défendu par l’affection d’un être jeune et pur ; c’est de se reposer dans la contemplation de deux yeux limpides d’innocence, étonnés, avides, curieux, consolateurs : doux momens pendant lesquels la faiblesse protège la force. Le lendemain du jour où Robert Moore vit ses espérances déjouées et sa fortune presque emportée, sa petite cousine Caroline Helstone était venue passer la soirée chez sa soeur. Caroline Helstone avait dix-huit ans : une pure beauté anglaise ; un corps tout juvénile, léger et flexible ; des yeux et une voix qui allaient au cœur ; des flots de cheveux qui coulaient en grappes brunes autour de son petit visage blanc et rose ; dans tous ses mouvemens, dans tous ses regards, dans toutes ses paroles, une expression de candeur, de douceur, et cette sensibilité qui mûrit vite dans le recueillement et la solitude ! Moore se délassait aux jaseries de cette jeune fille, naïves, imprévues, capricieuses, traversées quelquefois de ces illuminations profondes qui viennent on ne sait d’où aux ames ignorantes. Ce soir-là, Moore désarma sa laborieuse énergie et se laissa retremper dans l’affection de cette enfant qui avait grandi en l’aimant. Il s’abandonna à ces joies rafraîchissantes et pures :

Doux mystère du toit que l’innocence habite…
…Rires, propos d’enfant,
Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend,
Qui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite,
Candeur des premiers jours…

Après le dîner commencèrent les causeries sans fin, entrecoupées de lectures. Caroline voulait distraire Moore du soin de ses affaires ; elle admirait la vaillance de son caractère, mais elle aurait voulu en adoucir la rigueur, car elle sentait que la dureté de Moore envers ses ouvriers mettait sa vie en péril. Elle le moralisait doucement, timidement, à sa