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un nom de village aux cabanes les moins distantes les unes des autres ; lorsqu’un bureau de poste, cette première consécration officielle de la commune en germe, a été établi par le gouvernement américain, on voit arriver le prédicateur de l’Evangile, envoyé d’abord en mission temporaire, puis établi à poste fixe aux frais de quelqu’une des sociétés pour les missions ; mais viennent successivement l’homme de loi, le médecin et le maître d’école, qui apportent à la fois au sein de la société naissante les lumières et la culture d’une société plus avancée et des élémens de civilisation.

Alors une église est bâtie, des écoles sont établies, et la commune entre dans la voie du progrès pour ne plus s’y arrêter. Quand les communes se sont multipliées, on en réunit plusieurs sous l’appellation d’un même comté, puis plusieurs comtés forment un territoire qui bientôt devient un état. La population recrutée sans cesse par de nouveaux arrivans, augmente de jour en jour avec une rapidité dont rien ne peut donner idée. De 1810 à 1820, la population de l’Ohio a augmenté de cent cinquante-deux pour cent, et de 1820 à 1840 l’accroissement a été de soixante-un et soixante-deux pour cent à chaque période décennale ; en cinquante ans, cette population s’est élevée de dix mille ames à un million. Cependant, quelque rapide que soit l’accumulation de la population, on comprend qu’il s’écoule un temps assez long avant que la portion intelligente et cultivée se trouve sinon en majorité, du moins en proportion assez forte pour exercer une influence efficace, et même avant que l’état moral et intellectuel de la société nouvelle réponde à sa législation.

Il y a trente ans que le Missouri est entré comme état dans l’Union américaine, et cependant il y a quelques semaines à peine, au sein de la principale ville, à Saint-Louis, une maison était livrée aux flammes en vertu de la loi de Lynch. Il n’est pas besoin de remonter tout-à-fait à dix ans pour trouver dans l’Ohio les dernières applications de la même loi. Il y a quelques années, le président de l’assemblée législative de l’Arkansas poignardait en pleine séance un orateur d’une opinion opposée à la sienne. Les querelles meurtrières, les assassinats à coups de pistolet ou à coups de couteau, rares sur les bords de l’Océan, sont plus fréquens dans l’Ohio, et sont journaliers dans les états souverains du Mississipi. Là, il n’est pas de discussion qui ne dégénère en lutte, pas de réunion publique où le sang ne coule.

Ces mœurs violentés et grossières n’ont rien qui doive surprendre de la part d’une population où les hommes instruits se comptent, où l’élément civilisé est perdu au milieu d’une multitude ignorante et habituée à écouter la voix de la passion. Cette société ne tardera pas à devenir paisible et régulière, et, montant encore un degré de l’échelle à mesure que l’instruction se développera dans son sein, elle arrivera enfin à se mettre au niveau des sociétés civilisées. Si nous disions