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Si nous avions besoin d’établir ce point, les témoignages américains ne nous manqueraient pas, et nous en appellerions à M. Carey lui-même ; qui, dans un coin de son livre, laisse échapper l’aveu suivant : « On rencontre sur le territoire des États-Unis presque tous les degrés de civilisation. Dans la partie qui touche au Mexique et qui est occupée par les sauvages, on ne connaît d’autre loi que celle de la force. En nous avançant vers l’est, nous trouvons dans les états du sud la classe laborieuse en esclavage. Dans l’Arkansas, le Missouri et le Mississipi, où la population est de 1, 2 ou 3 personnes par mille carré et avec une forte proportion d’esclaves, le blanc, éloigné des tribunaux, des juges et des officiers de justice, porte toujours des armés avec lui ; il est prêt pour l’attaque ou la défense ; toute altercation se termine par un combat dont la mort est souvent la conséquence. L’habitude de déférer à la loi n’y existe qu’à un faible degré. Si un particulier éprouve un tort, il veut le redresser lui-même ; si la communauté se croit lésée, elle recourt à ce mode barbare de justice exécutive qui s’appelle la loi de Lynch. Si nous passons à l’est, nous trouvons dans le Tennessee 15 habitans, et dans le Kentucky 17 habitans par mille carré. Il y a trente ans, la loi de Lynch était en pleine vigueur dans ces deux états, mais l’habitude d’obéir à la loi s’y est développée avec la population. Dans la Virginie et dans les Carolines, nous trouvons un état de société plus avancé, et la sécurité personnelle s’y accroît en proportion[1]. »

C’est là un rare accès de franchise. La plupart des Américains n’admettent oint en effet qu’il y ait la moindre inégalité de valeur morale et de civilisation entre les diverses parties de l’Union, et les vieux états ne sont que trop portés à attribuer à leurs rejetons cette immunité de la critique qu’ils réclament pour eux-mêmes. Si, par l’accumulation de faits précis et surtout par l’examen de la législation des nouveaux états, vous démontrez qu’une portion des États-Unis marche rapidement vers l’extrême de la démocratie, et que l’action combinée des mœurs et des lois y crée un état social qui équivaudrait pour des Européens à une intolérable tyrannie ; si vous prouvez que, dans certains états du sud, la loi est impuissante à garantir la sûreté des personnes et des choses, les Américains ont une explication toute prête, et vous répondent que la faute en est à l’immigration européenne qui vient abaisser le niveau moral des États-Unis. Examinons si cette explication est exacte, et voyons par la même occasion quelle est au vrai l’étendue de l’immigration européenne, et quelle en est l’influence.

Il est certain que l’immigration européenne joue un rôle considérable

  1. Carey, Principles, etc., tome II, p. 27.