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l’instruction élémentaire est plus commune qu’aux États-Unis, si nous citions le Haut-Rhin ou le Nord pour prouver que la France est le pays le plus manufacturier, le plus productif du monde, et celui où la population et la richesse s’accroissent le plus vite, on nous objecterait aussitôt la Creuse, la Corrèze, les Landes et les Basses-Alpes. Les auteurs américains, et M. Carey en particulier, ne font pas autre chose, lorsqu’ils appuient leurs raisonnemens et leurs calculs habituellement sur le Massachusetts, quelquefois sur New-York, plus rarement encore sur la Pensylvanie, jamais sur l’Illinois, la Floride ou le Mississipi. Signaler un pareil artifice de raisonnement, n’est-ce pas ruiner par la base toutes les conclusions de ceux qui en font usage ?

On doit voir déjà combien il est malaisé de démêler l’exacte vérité au milieu des renseignemens qui abondent sur les États-Unis. On ne doit plus s’étonner que des divergences nombreuses désappointent et embarrassent le lecteur, qui avait espéré se former une opinion par la comparaison de plusieurs témoignages. Il nous reste, en abordant de plus près notre sujet, à signaler la cause principale de ces jugemens si différens, souvent si contradictoires, portés sur la société américaine par des voyageurs que la communauté de patrie, d’éducation, de partis, de préjugés ; semblait prédisposer à éprouver les mêmes impressions.


II

Le tort de presque tous les auteurs qui ont écrit sur les États-Unis a été de vouloir porter un jugement d’ensemble sur une société extrêmement complexe, et de n’avoir demandé qu’à une partie de la nation américaine les élémens de leur appréciation favorable ou contraire. Nous sommes loin de faire le procès à aucun de nos devanciers. Il serait également injuste d’accuser les uns ou les autres de mauvaise foi, car presque toujours les éloges des uns et le blâme des autres sont également bien fondés, à la condition seulement de n’être pas généralisés. Autre chose est de méconnaître la vérité, autre chose de n’en voir qu’une partie. Nous prendrons la liberté de ne pas regarder mistriss Trollope comme une furie, mais nous devons constater que sur la durée de son séjour aux États-Unis elle a passé deux années entières dans l’Ohio à une époque où l’Ohio n’était guère plus avancé que ne l’est aujourd’hui le Michigan. De même sir Charles Lyell, tout favorable qu’il soit aux Américains des bords du Mississipi, ne peut s’empêcher de dire qu’en revenant à Boston, au bout de dix mois, il ressentit cette satisfaction qu’on éprouve en se retrouvant chez soi et au milieu des siens. Il faut donc se demander quel a été l’itinéraire du voyageur, avec quelle classe de la société il a été, plus spécialement en rapport, dans quelle partie des États-Unis il a le plus long-temps résidé : « c’est