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il me répondit : C’est une magie que le dieu du goût fait passer de mon esprit au bout de mon pinceau. C’est la divinité de la beauté que tout le monde adore et que personne ne peut définir, parce que nul ne sait en quoi elle consiste ; cela démontre combien est imperceptible la nuance qui existe entre la laideur et la beauté, et cette nuance, cependant, parait si grande à ceux qui n’ont aucune connaissance de notre art[1] ! » Tout ce beau langage va simplement à prouver que dans un temps où plus qu’en tout autre la laideur était un crime, l’indulgent Nattier flattait ses modèles. Trempé trop faiblement pour s’assimiler les maîtres et dominer son siècle, il se laissait emporter au train général de la convention et de la mode.

Du vivant de ces artistes, il n’était pas rare de les entendre comparer à Raphaël pour le dessin, au Corrège pour l’exécution, au Titien pour la couleur. Des exagérations aussi ridicules devaient amener une réaction, et le jour arriva où un dénigrement colère ne vit plus dans leurs œuvres que minauderie et barbouillages. Ni si haut, ni si bas. Qu’y a-t-il de minauderies efféminées dans les Chardin, dans la famille de Vanloo peinte par lui-même, dans les portraits de Marie Leczinska ? Eh quoi ! on fait les dégoûtés à l’encontre de ces lestes historiens du XVIIIe siècle, et l’on admire les plâtres enluminés, saupoudrés de sourires impossibles, de M. Winterhalter ! Encore une fois, cette école était de son temps, et ici rien de plus consubstantiel à l’idée que l’expression de l’idée. Nous sommes un peu, sans nous en douter, comme le duc de Mazarin, qui ne voulait pas parler à sa femme, parce qu’elle avait des mouches : nous enveloppons indistinctement tous les peintres du siècle de Louis XV dans le dédain que nous inspire cette société pomponnée, factice et sans cœur. Pourtant plusieurs de ces artistes ont un vrai mérite : ils sont réellement peintres. Ces hommes-là mettent la peau sur la chair, ils font vivre et palpiter ; ils peignent les mains comme on ne sait plus les peindre, et leurs têtes, parfois expressives, sont parfois aussi d’un bon modelé. Ils avaient encore des traditions de palette, des secrets de couleur, qui se sont évanouis et que rien n’a remplacés. Ils prenaient la peine de broyer eux-mêmes ou de faire broyer sous leurs yeux, dans leurs ateliers, leurs couleurs principales, non altérées comme elles le sont aujourd’hui. L’école de David, ennemie acharnée des idées de mouvement et de vie qui ont prévalu chez les peuples de l’Occident, s’est jetée dans le bas-relief pour se rapprocher du système grec : l’expression dans le calme. Voulant rompre avec les orgies de couleur, le maître a tranché dans le vif, et, dépassant le but, il ne s’est plus, en quelque sorte, servi des couleurs que pour dessiner le trait, non pour peindre. Aussi, depuis cette époque funeste à la peinture proprement dite, la science de la couleur est-elle à peu près rentrée dans les ténèbres. Rien ou bien peu, chez nous, de ce ragoût, de cette pleine pâte sans excès qui fait la gloire des écoles italiennes, qui donnait du corps et de la solidité aux œuvres de l’art. Les peintures de Gérard, de Girodet, de Guérin, poussent, au blafard, au vert et au noir, et sont indignement craquelées. Malheureux peintres qui ne sont ni vivant ni morts ! Il n’est pas jusqu’à Gros, le plus peintre de nos artistes modernes avec Prud’hon, chez qui la qualité de solidité ne soit absente : sa couleur verdit, s’évapore, et finit

  1. Mémoires de Casanova de Seingalt, tome VI, p. 352-353 ; édition Paulin, 1833.