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nez droit du nez aquilin de Mme  Récamier[1]. Greuze, plein de grace, à la manière près, dans la force de son talent, avait si bien une figure toute faite au bout de son pinceau, qu’il trouva moyen, dans sa vieillesse, peignant l’empereur Napoléon, de lui donner la figure de sa jeune fille à la cruche cassée[2]. Aujourd’hui, la mode est de baisser les épaules des femmes pour en faire autant d’Edith au cou de cygne. La plupart de nos peintres les peignent ainsi, et l’on s’étonnera un jour de ce dont nous ne nous apercevons même point. Grace à ce double mensonge, au lieu de la noble créature que Dieu anima de son souffle, on n’a que des poupées. On a la poupée française du temps de Louis XIV, le front haut, l’œil impérieux ; on a tout cet attirail olympique que peignait Mignard dans le goût de l’hôtel de Rambouillet ; on a la poupée de la régence, vêtue d’azur et de nuages, comme on aura plus tard la poupée Pompadour. À travers ces chairs pantelantes, ces teints enflammés, ces paupières humides et demi-closes, tous les airs de tête sont les mêmes, sauf quelques exceptions ; du caractère, pas l’ombre.

Après la mode du moment et la mode des artistes, reste encore à compter avec telle ou telle mode de caste. Oui ne saurait décemment être brune à la cour, si la reine ou la maîtresse, ou l’idole du jour est blonde. La reine Anne était blonde ; la duchesse de Longueville, cette indolente et voluptueuse idole de la ville des frondes et des révolutions, était du blond le plus beau ; la reine Marie-Thérèse était blonde ; — toute femme qui se respectait, sous Louis XIV, devait donc être blonde de la veille, sinon de naissance ; pas de milieu. L’avènement de Mmes de La Vallière et de Fontanges, d’un blond un peu hasardé, ne changea rien à ces graves exigences, et la brune cachait son péché originel sous la poudre ou les tresses blondes[3] : — témoin la galante comtesse de Châtillon, qui avait le malheur d’être fort brune, à en croire une indiscrétion contemporaine, et se fit peindre en blonde. Le mot de blonde était alors synonyme de belle, de même qu’aujourd’hui encore, en Angleterre, Ce paradis des blondes, le mot fair a les deux significations. « L’Angleterre, dit Shakspeare, est un nid de cygnes au milieu des eaux. »

On le voit, tout concourt à tromper nos neveux en matière d’effigies, soit par la faute des peintres, soit même malgré eux. Le vrai est la minime exception, Poussin et Le Sueur mis en dehors de toute dispute. Pourtant, s’il y a justice à faire, il y a aussi justice à rendre. Par exemple, un artiste habile peint-il son propre portrait, il est rare qu’il n’en fasse pas un de ses chefs-d’œuvre, parce qu’il prend ses heures, se connaît et pose bien. Après tout, ce n’est là qu’une

  1. Le tableau original de David n’est point terminé : il est au Louvre. Celui de Gérard a été donné par Mme  Récamier à la ville de Lyon. Versailles en possède un souvenir en petit dans la collection d’esquisses que tirait Mlle  Godefroid des principaux portraits de Gérard.
  2. Il n’y a point là d’exagération. Le portrait qui est au palais de Versailles demeurera comme un monument des aberrations du pinceau.
  3. La poudre blanche est une dégénération moderne. Sous le directoire, il fut de mode, pour les femmes, de porter des perruques ; ces perruques étaient blondes, et la belle Mme  Tallien, de même que Mme  de La Vollée, plus belle encore, cachaient ainsi la plus magnifique chevelure noire. Sous Louis XIV, on avait une poudre blonde à l’instar des belle Romaines de l’antiquité, qui voulaient donner du piquant aux traits de leur visage et rivaliser avec les blondes Gauloises.