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Est-ce de cette façon expéditive que procède la grande peinture sérieuse ? Non, assurément. L’art vrai vend cher aux artistes ce qu’on croit qu’il leur donne, et l’abus de la facilité mène à de cruelles défaillances les plus heureux génies ; mais dans les portraits d’amis ils se relèvent. Le célèbre peintre d’animaux et de paysages Oudry, qui a peint aussi de beaux portraits, et qui était élève de Largillière, dit, à ce sujet, dans un morceau inédit : « Un jour, je le priai de trouver bon que je le visse peindre d’après nature une tête dont je devais faire plusieurs copies. Ce n’était pas de ces têtes courantes qu’il expédiait quelquefois un peu légèrement ; c’était une tête d’ami, d’un beau caractère, et que cet excellent maître travailla avec tout l’art et le goût dont il était capable. Je puis dire que je dévorai jusqu’au moindre de ces procédés, et je m’étais tellement rempli l’esprit de la fabrique de cette tête, que je comptais la savoir par cœur… » Tous les peintres de portraits procèdent d’abord comme Van Dyck et Largillière. Un parent, un ami, victime dévouée, est assassiné de séances ; l’artiste lutte vaillamment avec la nature ; il s’attaque aux profondeurs de l’ame de son modèle ; il goûte à pleins bords la mâle saveur de l’art : — c’est beau. Ainsi les peintres du milieu du dernier siècle produisirent, pour l’académie de peinture, les superbes portraits de leurs confrères qu’on voit à l’école des Beaux-Arts. Ainsi encore Pagnetz produisit son chef-d’œuvre, l’un des chefs-d’œuvre de l’école française, ce fameux portrait de M. de Nanteuil qu’il fit toute sa vie. L’œuvre était faite et parfaite, qu’il se dévorait de l’envie de nouvelles séances et les implorait à genoux. Mais après les amis viennent les modèles payans ; on se néglige l’art déserte et s’éteint dans la fadeur du pêle-mêle. Gérard a commencé par peindre Mlle Brongniart, depuis la baronne Pichon, qui est son chef-d’œuvre. C’est étudié et rendu en maître. Hélas ! qu’a-t-il fait ensuite dès que le tourbillon de la mode l’eut emporté ? Son premier portrait est bien réellement Mlle Brongniart ; quelques autres portraits d’amis, — Isabey, Ducis, Ganova, — exécutés dans le même principe, sont vrais et beaux. Le reste, c’est tout le monde, c’est un mannequin de convention.

Je sais qu’à toute époque la mode du costume, de l’air, les ajustemens, des affectations du jour, que chacun subit plus ou moins sans s’en douter, donne jusqu’à un certain point à tous les modèles un premier aspect identique. Cependant cette physionomie générale n’est qu’un voile fugitif pour l’artiste qui sait voir et dégager le vrai. Malheureusement combien en est-il qui à cette mode générale du temps ne viennent pas ajouter leur mode particulière, autre ennemie de la vérité ! Les Van Dyck ont amené le portrait fier, la tête renversée en arrière, le poing sur la hanche ; les Rigaud, le portrait d’apparat aux draperies flamboyantes ; les Largillière, le portrait aux étoffes plus tapageuses encore et à la main droite ouverte avec l’indicateur en avant ; ainsi de suite. Convention, toujours convention ! Sous le consulat, quand la mode voulut tout à l’antique, on ne donna plus aux femmes que des profils grecs, et David et Gérard firent un