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trait pseudonyme de l’édition Blaise, gravé par Masquelier. C’est un charmant émail de Petitot[1] représentant une jeune femme pâle, délicate, étiolée, aux yeux bleu d’azur, au nez aquilin, à la chevelure presque incolore : juste le revers effacé de la forte et rieuse médaille de Mme de Sévigné, dont les cheveux blonds avaient plus d’accent, dont les yeux étaient gris, les paupières bigarrées, le nez carré, le front proéminent, la physionomie ouverte et animée, l’encolure générale ferme et bien prise[2].

Je passe sous silence une autre image de Mme de Sévigné, gravée in-12, par S. Thomassin, estampe fort singulière, dont la figure, coiffée à la Louis XV, porte, non des mouches, mais des signes fortement prononcés au front, à la joue et sous les lèvres, et qui n’offre pas même, comme disent les peintres, un faux air de son prétendu modèle. Je laisse également de côté cette innombrable cohue d’autres portraits de la marquise qui ne sont plus que les répétitions les uns des autres, et qui, à force de s’écarter du type primitif, ont fini par n’en garder aucun parfum. J’ai voulu seulement, en épuisant la discussion sur l’effigie d’un personnage d’ailleurs si près de nous, montrer tout ce que l’iconologie critique offre de difficultés et doit conseiller de défiances. La même chose est à dire pour nombre d’autres personnages historiques. Qu’on se rappelle notamment cet exemplaire unique des œuvres de Voltaire, orné de plus de dix mille portraits, livré aux enchères, il y a quelques mois, par l’actif et intelligent libraire Potier, et auquel M. le comte Victor de Saint-Mauris avait joint un volume entièrement composé de portraits de ce grand écrivain. Il est bizarre, mais il est vrai, que, sur des centaines d’effigies voltairiennes, on n’en trouvait peut-être pas quatre qui se ressemblassent.

  1. Cet émail, tombé sur le carreau, s’est brisé en trois morceaux. On l’a raccommodé tant bien que mal, et il subsiste encore.
  2. M. de Mussey lui-même, le propriétaire de l’émail pseudonyme, n’acceptait pas la ressemblance, tant le texte des lettres de Mme de Sévigné, son portrait écrit par Bussy et le pastel de Nanteuil lui paraissaient la contredire. Ce fut Blaise le libraire qui tint à l’attribution du portrait. Ce M. de Mussey était un de ces enthousiastes collecteurs, un de ces fous-tulipiers dont l’espèce va tous les jours s’éteignant : bonnes gens qui amassent et se ruinent pour la postérité, mais dont l’ingrate est toujours disposée à rire, en sa qualité de légataire. Il était directeur des douanes à Montpellier quand le spirituel Creuzé de Lesser en était préfet. Il avait fait monter in-folio un exemplaire des Lettres de Mme de Sévigné, édition Grouvelle. Autographes, fac-simile, miniatures, portraits, dessins originaux, gravures se rattachant de près ou de loin à son idole, il avait tout recueilli, tout accumulé entre les feuilles ou collé sur les marges de son exemplaire. Pour bien connaître les châteaux jadis habités par l’objet de son culte, pour se familiariser avec les sites rendus intéressans par quelque souvenir de la marquise, il avait parcouru la Bourgogne, la Bretagne, la Provence ; il avait consulté dévotement les traditions locales, il avait tout fait dessiner sous ses yeux, et son Sévigné-monstre, comme l’appelaient ses amis, s’était enrichi des fruits de ces pieux voyages. Ce qu’il engloutit d’argent dans ce gouffre, où souvent des gravures de grand prix n’entraient que mutilées, est à peine croyable. Aussi le pauvre digne amateur, ruiné par son livre, fut-il à la fin réduit à le vendre par volume. C’était son ame déchirée feuille à feuille, et quand le dernier tome, son dernier ami, eut quitté ses mains, il mourut.