Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute nouvelle, toute différente, en tête des huit volumes in-12 de l’édition de 1754. La tête et le dessin entier du portrait tiennent moins de Mme de Sévigné que de sa fille, à l’indifférence près, car la désinvolture générale a quelque chose de flamboyant qui ne va ni à l’une ni à l’autre. Le peintre signe Lefèvre, sans date ; le graveur est Pelletier. Quel est ce Lefèvre ? Le siècle de Louis XIV a possédé trois hommes du nom, de Lefèvre ou Lefèbre : Valentin, Claude et Roland, dont le père Orlandi, dans son Abecedario, n’a fait qu’une seule personne. Quelques-uns des portraits de Claude et de Roland le disputent aux plus beaux Rigaud. Faut-il voir en l’un de ces deux hommes le coupable du nouveau portrait de Mme de Sévigné ? ou bien faut-il en attribuer l’honneur à quelque peintre obscur du même nom, et dont il y eut deux ou trois en 1754 ? Je l’ignore, l’original n’étant point tombé sous mes yeux. Dans tous les cas, la confusion fut à son comble, et, à travers toutes ces dissemblances, le Lefèvre fit fortune. On le multiplia, et, en tête d’une copie de l’édition où il avait paru, un libraire d’Amsterdam donna la même planche en y ajoutant, en légende dans le cadre, les noms de la marquise, et au bas ces vers hollandais :

Pour transmettre mon nom jusqu’aux dernières races,
Je ne me parai point de grec ni de latin,
Mais d’un génie heureux façonné par les graces
Sous les leçons de Rabutin.

Ainsi, de compte fait, nous avions déjà six portraits de Mme de Sévigné : 1o celui de Nanteuil, auquel il faut toujours revenir, et qu’ont successivement gravé N. Edelinck et Delvaux au burin, P.-M. Alix en couleur, Roger au pointillé ; 2o celui de Ferdinand gravé par Chéreau et par Schmidt ; 3o et 4o la miniature et l’émail ; 5o enfin, la peinture du château de Grignan et le nouveau portrait de Lefèvre, qui donnait un air si dégagé à son modèle. Sur ces entrefaites, le graveur Delegorgue découvrit dans le cabinet de M. Traullé l’original de Nanteuil. Il le regrava de la grandeur même du pastel. Voilà donc le type le plus sûr des traits de Mme de Sévigné reproduit pour la cinquième fois. Pourtant, on ne s’y tint pas, et l’édition des Lettres donnée chez le libraire Blaise par M. de Monmerqué mit au jour encore un portrait nouveau, totalement différent. Était-ce donc une figure de fantaisie ? Non, l’artiste n’était point sorti de la famille ; seulement il avait donné l’image de Jeanne-Marguerite de Brehant de Mauron, marquise de Sévigné, belle-fille de la vraie, de l’inimitable écrivain, qui ne fut point auteur. « Il y a de certaines pensées qui égratignent la tête, » dit Mme de Sévigné. Celle-là est du nombre, d’autant que l’erreur s’obstine et s’acharne, et que tantôt c’est cette même femme du fils qui prend le pas et continue à se substituer à sa belle-mère ; tantôt c’est le Lefèvre qui, d’après un portrait du château d’Eu, trône dans la galerie de Versailles et est complaisamment multiplié par le diagraphe Gavard.

Certes ; pour confondre Marie de Rabutin avec madame de Sévigny la sublime, un ange en terre, la gloire du monde, comme l’appelait M. de Saint-Gabriel, l’un des précieux du Grand Dictionnaire ; pour la confondre, dis-je, avec Jeanne Mauron, cette femme frêle, maladive et nerveuse, tout éteinte à neuf heures du soir, il fallait être bien décidé à se tromper. En effet, j’ai vu le type du por-